Ipred à confusion

Six mois après l’entrée en vigueur de l’équivalent de la loi Hadopi en Suède, l’heure est à un premier bilan. Plutôt mitigé.
par Anne-Françoise Hivert
publié le 25 septembre 2009 à 10h49
(mis à jour le 25 septembre 2009 à 12h25)

Lorsque la loi antipiratage Ipred est entrée en vigueur le 1er avril en Suède, la­ Fédération internationale de l'industrie phonographique (Ifpi) avait promis des procès en ­série. Six mois plus tard, toujours rien. Les fournisseurs d'accès à ­Internet (FAI) font de la résistance . Le gouvernement de centre-droit a nommé une commission ­d'enquête chargée d'évaluer ­l'impact de la loi transposant la ­directive européenne sur le renforcement des droits de la propriété intellectuelle. En Suède, on se ­dispute déjà un bilan en demi-teinte.

Depuis le 1er avril, les ayants droit, et non plus seulement les représentants de la police ou du ministère public, peuvent se tourner vers un tribunal pour obtenir des renseignements concernant un internaute soupçonné de télécharger ou de mettre en ligne des fichiers protégés. Le tribunal peut alors exiger d’un FAI qu’il révèle l’identité de son client se cachant derrière une adresse IP. S’il est reconnu coupable, l’internaute risque un avertissement ou une amende, en fonction de la gravité des faits qui lui sont reprochés.

Dès l'entrée en vigueur du texte, cinq maisons d'édition se sont présentées devant le tribunal de Solna, dans la banlieue de Stock­holm. ­Elles demandaient que la société Ephone fournisse les coordonnées d'un de ses abonnés, propriétaire d'un serveur hébergeant plus de 2 000 livres audio. L'opérateur a refusé. «Nous devons protéger nos clients» , explique le patron, Bo Wigstrand, qui fustige «le manque de preuves apportées par les ayants droit» . Condamné fin juin en première instance, Ephone a fait appel.

De son côté, le numéro un du secteur, TeliaSonera, qui compte 1,2 million d'abonnés, a fait savoir qu'il en était à épuiser tous les recours en justice avant de remettre à quatre maisons de production les données concernant les opérateurs du site SweTorrents. Pour éviter de se retrouver dans cette situation, plusieurs FAI ont annoncé dès le mois d'avril qu'ils se débarrassaient dorénavant de toutes les données permettant d'identifier leurs abonnés à partir d'une adresse IP. Un coup de pub pour attirer la clientèle ? Pour ­Henrik Rasmusson, procureur à Stockholm, spécialisé dans les affaires de piratage sur Internet, cette décision pose problème : «Avant, nous pouvions obtenir des informations concernant le propriétaire d'une adresse IP, six mois ou un an après qu'un délit a été commis. Maintenant, les opérateurs suppriment toutes ces données après trois semaines. »

Cependant, remarque Lars Gustafsson, directeur exécutif de l'Ifpi, «s'il n'y a pas eu d'effet juridique marquant, l'effet dissuasif de la loi est évident» . Henrik Pontén, juriste auprès de l'Antipiratbyrån, l'agence antipiratage, confirme. Quelques heures seulement après l'entrée en vigueur de la loi, le trafic internet en Suède a chuté de 40 % . «Or, s'il n'a cessé d'augmenter depuis, il n'a jamais rattrapé le recul enregistré depuis avril.» L'argument tient-il ? Daniel Westman, professeur de droit à l'université de Stockholm, observe que la loi Ipred avait pour objectif d'encourager les internautes à se tourner vers des services de téléchargement légaux. Le trafic internet, dit-il, «aurait donc dû se maintenir, et pas reculer, si elle avait été efficace» .

Selon Magnus Eriksson, porte-parole du Piratbyrån , une organisation qui lutte pour le droit au partage des fichiers, les Suédois téléchargent peut-être différemment, mais ils téléchargent toujours. 1,1 million d'entre eux – soit plus de 10 % de la population – reconnaissent d'ailleurs se ­livrer régulièrement à cette pratique. «Sauf qu'ils ne téléchargent plus que ce qu'ils consomment, d'où la baisse du trafic. Et puis, ils évitent les films suédois à succès, pour des ­séries un peu plus anciennes.» Question de prudence. Beaucoup utilisent aussi des services garantissant l'anonymat sur Internet. La version bêta d'IPREDator , proposée par The ­Pirate Bay, a attiré ainsi plus de 100 000 internautes, prêts à ­l'essayer.

L'industrie du divertissement, cependant, se frotte les mains. Au cours des six premiers mois de l'année, plus de 7 millions de CD ont été vendus en Suède. C'est 30 % de plus qu'en 2008, même si on est encore très loin des chiffres d'il y a sept ou huit ans. Bonver, numéro un suédois de la vente et de la location de DVD, parle d'une augmentation de 30 à 40 % de ses locations, de 20 % de ses ventes et de 100 % de ses services en ligne. Pour son PDG, Gerre Versteegh, «c'est la preuve que la loi est efficace» . Reste à voir si la tendance se maintient et confirme un effet Ipred.

Paru dans Libération du 24 septembre 2009

De notre correspondante en Suède

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