«J'ai l'impression d'être un pion sur l'échiquier»

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 23 décembre 2010 à 15h26
(mis à jour le 27 décembre 2010 à 12h59)

C'est celle par qui le scandale est arrivé : Candice Marchal, 37 ans, directrice des coordinations à l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF) qui chapeaute France 24 et RFI. Elle a passé la semaine dernière 36 heures en garde à vue à la Brigade d'enquête sur les fraudes aux technologies de l'information (Befti) après s'être introduite sur les serveurs informatiques de l'AEF.

En octobre, un article dans le Canard enchaîné citant des documents confidentiels de la direction de l'AEF (ils évoquent notamment une «impasse budgétaire» pour France 24) déclenche une plainte auprès du parquet de Nanterre. En novembre, le patron de l'AEF Alain de Pouzilhac commande une enquête au cabinet privé, Forensic & Legal Services. Et c'est cette enquête qui, pour l'instant, met en cause Candice Marchal, une proche de Christine Ockrent en pleine guerre des chefs avec Alain de Pouzilhac. Alors qu'une motion de défiance a été votée à une large majorité contre Ockrent par les salariés de France 24, Candice Marchal, en compagnie de son avocat Me Richard Forget, répond aux questions de Libération .

Avez-vous espionné les ordinateurs de l’AEF pour le compte de Christine Ockrent ?

Je n’ai pas espionné les ordinateurs de l’AEF et certainement pas pour le compte de Christine Ockrent.

Qu’avez-vous fait exactement ?

Je me suis connectée à des serveurs de l’AEF avec un mot de passe que m’a fourni l’informaticien, j’y ai accédé depuis chez moi, sur mon ordinateur professionnel.

Aviez-vous l’impression de faire quelque chose d’illégal ?

Non, pas du tout. Ce sont des éléments de la société, financiers ou de communication, auxquels j’avais accès de par mes fonctions. C’est un serveur partagé entre les dirigeants de l’AEF.

Que cherchiez-vous alors ?

J’y vais parce que, quand je rentre de vacances, c’est l’hécatombe à France 24. Des gens sont virés ou rétrogradés et tous ont été recrutés ou promus par Christine Ockrent, ce qui est aussi mon cas. Je cherchais un nouvel organigramme, ou une ligne budgétaire me concernant. Si je fais ça, c’est que le harcèlement était quotidien : vous êtes ostracisée, on ne répond plus à vos mails, on diminue vos budgets, le directeur de la rédaction [Jean Lesieur, ndlr] vous reçoit pour faire des remarques très désagréables… Lors du premier rendez-vous, il me demande si j’ai peur de lui. Lors du deuxième, il me hurle dessus en dégommant tous mes projets.

A quel point êtes-vous proche de Christine Ockrent ?

J’ai un lien professionnel qui date d’il y a dix ans. Nous ne sommes pas des intimes, je la vouvoie toujours. Elle m’a fait venir parce que je suis souple au travail. Je parlerais de proximité entre nous.

Etes-vous responsable de la fuite qui déclenche l’affaire ?

Non. J'ai été auditionnée à ce sujet par la Befti, le 15 octobre. Mais on s'en fout de l'article du Canard enchaîné :les salaires des dirigeants, tout le monde les connaissait, «l'impasse budgétaire» aussi. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus croustillant.

Qu’y a-t-il de plus croustillant ?

Je me tiens à la disposition de la mission d’information de l’Assemblée nationale pour détailler l’ambiance et les méthodes.

Comment expliquez-vous que, dans le rapport de l’enquête privée, on retrouve des mails personnels et 2,5 millions de fichiers ?

L’officine privée qui, par ailleurs, a été créée le 4 octobre 2010, dit maintenant que ce ne sont pas 2,5 millions de documents mais 2,5 millions de fichiers informatiques, des fichiers temporaires, ce genre de trucs. Merci de dire que je ne suis pas Wikileaks… Mais le rapport de l’officine, je ne me l’explique pas et je le conteste haut et fort. J’ai remis mon ordinateur à la demande de l’AEF le lundi 7 novembre et il est parti en expertise deux ou trois semaines plus tard. Ça laisse le temps de mettre un disque dur ou de le modifier. J’aurais préféré que l’ordinateur aille directement entre les mains de la Befti.

Vous soupçonnez donc que votre disque dur a été trafiqué. Par qui et dans quel but ?

C’est le but de la plainte qu’on dépose. Pourquoi ? Ça me semble clair, ce n’est pas moi qu’on vise, mais Ockrent : j’ai l’impression d’être un pion sur l’échiquier.

Quelles plaintes allez-vous déposer ?

Me Richard Forget : Une première plainte pour escroquerie, qui vise les manœuvres effectuées sur le disque dur. Une seconde pour atteinte au secret des correspondances. Le Monde et Marianne ont eu accès à des mails de Candice Marchal à Christine Ockrent. Quand les enquêteurs privés ont analysé son disque dur, ils ont aussi analysé ses mails et c’est l’objet de cette plainte. La troisième, c’est pour violation du secret professionnel et les fuites incessantes dans la presse.

Quel rôle joue la guerre des chefs entre Pouzilhac et Ockrent dans ce qui vous arrive ?

Ce sont des histoires de haines personnelles qui font des victimes collatérales. C’est aussi de l’argent public, ça m’horripile. J’ai réduit mes frais, j’ai rapporté beaucoup d’argent à la boîte, tout le monde n’est pas dans ce cas-là. J’ai été estomaquée, remuée. Après la colère est montée. Ça y est, je suis licenciée, pour faute grave. Et je vais attaquer aux prud’hommes. J’en veux à ceux qui fomentent des machinations pareilles. Je me suis retrouvée accusée sans aucun respect de la présomption d’innocence.

Paru dans Libération le 22/12/2010

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