Interview

«Je dois filmer ce qui est avéré mais on nage en plein non-dit»

Olivier Assayas, réalisateur, évoque les difficultés qu’il a rencontrées en adaptant pour l’écran la vie de Carlos :
par Philippe Azoury
publié le 19 mai 2010 à 0h00

Au début du mois de mai, à Paris, alors qu'on apprenait que Carlos, un temps écarté de Cannes, serait au final présenté hors compétition, Olivier Assayas détaillait quelques-uns des nombreux points qui font de son film un projet à part dans le paysage français.

Pourquoi avoir accepté la proposition de Canal + de raconter Carlos ?

Si on veut comprendre quelque chose à l'histoire politique des années 70 et 80, Carlos est un fil rouge extraordinaire, passant de l'idéalisme au mercenariat. L'époque dont parle le film, surtout ses deux premières parties, est celle de mon adolescence, celle de l'idéalisme politique, et l'occasion m'était donnée de filmer des choses qui m'avaient imprégné adolescent et que je n'avais pu filmer à l'époque. Le cinéma est toujours porté par une fixation adolescente du monde, je crois. Aussi, ce film est moins loin qu'on pourrait le croire d'un de mes films plus autobiographique, l'Eau froide, ou de mon livre autour de Guy Debord. Il fait partie de cette histoire-là. J'étais content, avec Carlos, de me retrouver à nouveau dans l'idéalisme des années 70.

Quelle idée aviez-vous sur lui ?

Il y a des moments où le destin l’emporte, et Carlos ne peut rien y faire. Je n’ai pas beaucoup de théories sur Carlos, mais si j’en ai une c’est qu’à partir du meurtre de deux agents de la DST rue Toullier à Paris, le 27 juin 1975, il n’y a plus de retour en arrière. Sans la rue Toullier, il serait un terroriste comme un autre. Carlos est en prison quand d’autres ont négocié leur liberté de mouvement. Il paye là où beaucoup n’ont jamais payé. Ce sont des terroristes d’Etat, donc à un moment ils servent et à d’autres ils encombrent. Ils sont souvent protégés, car, si on tire sur leur fil, on touche l’Etat directement. Donc personne ne tient trop ni à les faire comparaître ni à les juger.

La reconstitution fut ardue ?

Oui, car on était confrontés aux impossibilités narratives. On filme des versions rapportées que personne n’est allé vérifier sur place. Or, sur place, on s’aperçoit que dans l’enchaînement des gestes les versions données par les historiens sont souvent impossibles. Je me heurtais à un démenti par l’espace. L’arrestation de Magdalena dans le parking par exemple, en la filmant on peut se demander si quelqu’un ne l’a pas balancée. Personne ne peut le dire, donc on reste avec l’arrestation telle qu’elle est décrite au procès, mais on voit bien qu’il n’y a aucune raison pour que deux gardiens viennent frapper à la vitre demander des comptes à un couple garé là qui cherche un ticket. C’est, du coup, bizarre pour moi car je me dois de suivre ce qui est avéré par la justice tout en voyant bien que, en termes de mise en scène, on nage en plein non-dit. Et je ne peux pas filmer autre chose, car je n’en ai pas la preuve. C’est une des particularités constantes de ce projet par rapport à la fiction.

Carlos, de sa prison, a essayé de bloquer le film…

Je suis extérieur au débat interne à la production avec l'avocate de Carlos. On a reçu des courriers très tôt. Ils réclamaient le scénario. Il était clair que cette réaction aurait lieu. Le risque était qu'il puisse bloquer un film, retarder sa diffusion. Je ne crois pas que le film soit une «entreprise de démolition», pour reprendre le mot de l'avocate de Carlos. Je redoute même le contraire : c'est-à-dire d'être attaqué pour complaisance.

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