Jeux vidéo: Odeur de scandale dans la presse spécialisée

par Sébastien Delahaye
publié le 12 décembre 2007 à 14h29
(mis à jour le 8 avril 2008 à 11h15)

Il ne manquait plus que ça. Alors que la presse spécialisée consacrée aux jeux vidéo n'a déjà pas une réputation d'intégrité folle, un scandale, le plus important depuis des années, vient de l'ébranler aux Etats-Unis. Le 28 novembre, le rédacteur en chef Jeff Gerstmann est licencié par son employeur Gamespot , un des sites américains sur les jeux vidéo les plus importants. Gamespot est édité par l'entreprise CNet (1), et Jeff Gerstmann y travaillait depuis 11 ans.

Aucune raison n'est donnée pour son licenciement, mais, très rapidement, les internautes font le lien entre sa critique très violente du jeu Kane & Lynch: Dead Men , édité par Eidos, et la campagne publicitaire alors en cours sur Gamespot: le site tout entier est aux couleurs du-dit jeu. Il n'en faut pas plus pour que le net s'enflamme. Très vite, la première rumeur circule: Eidos aurait exigé à CNet le licenciement de Gerstmann en menaçant d'annuler toutes leurs futures campagnes de pub. Une rumeur a priori crédible puisque ce genre de campagne publicitaire coûte très cher et que Kane & Lynch est le principal jeu de fin d'année d'Eidos.

Eidos et CNet mettront plusieurs jours à répondre à la polémique. Le 3 décembre, alors que certains lecteurs ont entamé un boycott du site, chacun y va de son démenti, expliquant qu'il n'y a eu aucune pression sur le contenu éditorial. Mais CNet n'explique pas pour autant le licenciement de Jeff Gerstmann, qui a entre temps déclaré au blog Joystiq ne pas pouvoir commenter l'affaire. Surtout, malgré le démenti, les lecteurs se sont vite aperçus que la critique vidéo de Kane & Lynch avait dans un premier temps été retirée par Gamespot (elle a depuis été remise en ligne). Pire, la critique écrite du jeu a été largement altérée. Si la note finale (6 sur 10, ce qui représente une note très faible selon le barème du site) est restée identique, le contenu de l'article a lui été modifié , donnant l'impression d'une critique nettement moins assassine. De quoi alimenter la théorie selon laquelle Eidos a bien fait pression sur CNet. Gamespot admet d'ailleurs qu'Eidos s'est plaint du traitement réservé à Kane & Lynch par Jeff Gerstmann, mais le site nie que les modifications aient eu lieu en réaction à cette plainte.

En même temps que les démentis arrivent les premiers commentaires des ex-collègues de Gamespot sur le net. Un employé anonyme a ainsi accusé Josh Larson, l'un des nouveaux managers de Gamespot nommé par CNet, d'avoir voulu marquer son territoire en licenciant un vétéran de l'entreprise, qui refusait de modifier son article et d'en adoucir le ton. Le 4 décembre, le pigiste Frank Provo annonce qu'il n'écrira plus pour «un site prêt à faire pression sur ses auteurs» . Le même jour, le blog Kotaku publie une interview d'un autre employé anonyme de Gamespot, qui explique que tout le staff est «démoralisé» . Une démission massive des rédacteurs est évoquée, sans pour autant avoir eu lieu à ce jour.

Dans deux podcasts, les salariés de Gamespot ont fait part de leur dépit de voir leur collègue partir. Le deuxième podcast , mis en ligne en fin de semaine dernière, ressemblait d'ailleurs à un discours d'enterrement: images des meilleurs moments, trémolos dans la voix, quelques mots sur la valeur du bonhomme... Un moment assez rare dans le genre, qui montre bien que le départ de Jeff Gerstmann reste douloureux pour ses collègues.

Près de deux semaines après le départ forcé de Jeff Gerstmann, la véritable raison de son licenciement reste inconnue, et elle le restera sans doute. Anonyme devenu célèbre en quelques jours, Jeff Gerstmann sort finalement de l'affaire avec une auréole de martyr qui pourrait lui être profitable. En revanche, la polémique a définitivement écorné la réputation déjà entamée de Kane & Lynch tandis que la crédibilité de Gamespot, et donc des ex-collègues de Gerstmann, semble définitivement entachée.

(1) En France, CNet édite notamment le site GameKult , qui a réagi en publiant sa propre enquête sur l'affaire Gerstmann. Clément Apap, rédacteur en chef de Gamekult, est l'un des chroniqueurs de l'émission «Silence on joue» de Libération.

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