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Libération

Jimmy Savile, top of the flops

par Sonia Delesalle-Stolper
publié le 23 octobre 2012 à 17h47

Depuis quelques jours, ça ricane doucement du côté de la presse tabloïd, et notamment de la «Murdoch connection» ( The Sun , feu News of the World , Sky News ). La bien-pensante et très respectable BBC se retrouve plongée jusqu'au cou dans un scandale bien sordide. Ce qui n'est pas pour déplaire aux tabloïds, lessivés depuis un an par la couverture un peu mère-la-vertu par la BBC du scandale des écoutes téléphoniques illégales, largement pratiquées par les journalistes du groupe Murdoch.

Excentrique échevelé, étalant cigare, Rolls-Royce et chaînes en or, décoré par la reine, sir Jimmy Savile a été canonisé vivant. Présentateur vedette, notamment pendant vingt ans de Top of the Pops , hit-parade culte de la BBC, il faisait sourire par ses délires et suscitait une admiration folle pour ses engagements caritatifs. Un an exactement après sa mort, le 29 octobre 2011, à l'âge de 84 ans, il n'est plus qu'un affreux prédateur sexuel, un pédophile manipulateur, un sale bonhomme pervers. Et la BBC se retrouve soupçonnée, si ce n'est accusée, d'avoir couvert ses turpitudes. Scotland Yard a annoncé vendredi l'ouverture d'une enquête criminelle après avoir reçu un déluge de plaintes.

Au cours d'une carrière extrêmement prolifique, comme lutteur professionnel -- son premier métier --, disc-jockey, puis animateur hystérique et excentrique sur la BBC, Jimmy Savile a abusé d' «au moins 200 victimes» , a indiqué la police. Des victimes âgées à l'époque de 12 à 16 ans. A la faveur de ses multiples engagements caritatifs, dans des hôpitaux, des orphelinats, des prisons, et sur les lieux de son travail, dont les studios de la BBC, Savile a, pendant des décennies, «fait son marché», abusant d'adolescents déjà en situation vulnérable. «Nous avons affaire à des accusations d'abus d'un niveau sans précédent. Le profil de cette opération a été renforcé par le nombre stupéfiant de victimes qui se sont présentées pour rapporter des actes d'abus sexuel qui se sont produits pendant leur enfance» , a déclaré le commandant Peter Spindler, en charge de l'enquête.

Initialement, la BBC a joué les vierges effarouchées, affirmant tomber des nues et découvrir, en même temps que le public, l'étendue de la noirceur du personnage. Sauf qu'il y a un an, juste après le décès de Jimmy Savile, la diffusion dans le magazine d'information Newsnight , sur la BBC Two, d'une enquête sur la conduite douteuse du présentateur avait été annulée. Sans explication ni justification. En revanche, deux mois plus tard, la BBC diffusait une hagiographie en trois volets de sir Jimmy Savile, «sa vie, son œuvre, son empreinte».

C'est donc la chaîne de télé privée ITV qui a ouvert la boîte de Pandore en diffusant, le 3 octobre, un reportage sur les abus sexuels commis par Jimmy Savile. On y apprend que des doutes et des rumeurs sur la conduite de l'animateur ont jalonné sa carrière. Des plaintes ont même été déposées à plusieurs reprises. Des enquêteurs ont été envoyés sur le plateau de Top of the Pops pour enquêter sur des rumeurs d'orgies en coulisse avec des adolescentes. A chaque fois, sans suite.

En 1971, une danseuse de l'émission, Claire McAlpine, âgée de 15 ans, se suicide. Au cours de l'enquête, on découvre son journal intime, où elle raconte avoir été l'objet d'agressions sexuelles de la part de Jimmy Savile. Ce dernier n'est pas inquiété, les écrits de la suicidée sont jugés fantaisistes, peu crédibles. C'est qu'on ne touchait pas comme cela à Jimmy Savile, qui a soigneusement et pendant des années tissé sa toile. Allant jusqu'à se fiancer en 1972 avec une chanteuse pop de 26 ans, Polly Browne. «Si vous enquêtez sur le coup de pub des prétendues fiançailles, je vous confirme formellement que ce n'était que cela, un coup de pub» , a-t-elle déclaré au Sunday Telegraph .

Cottage. Sous le couvert de ses actions caritatives, sir Savile a développé des contacts utiles. Il fréquentait les membres de la famille royale, dont le prince Charles qu’il a invité dans son cottage isolé des Highlands en Ecosse, de hauts membres de la police, du gouvernement, comme Margaret Thatcher en son temps. Alors se pose aujourd’hui la question : la BBC a-t-elle sciemment tenté de protéger un mythe, d’empêcher des révélations ?

Le nouveau directeur général, George Entwistle, dément catégoriquement toute tentative d’étouffer le scandale. Il a annoncé l’ouverture de deux enquêtes distinctes indépendantes, dont l’une dirigée par une juge, pour établir l’ampleur des exactions de Savile au sein de la BBC, et qui pouvait en avoir eu connaissance. L’autre enquête est chargée de mettre en lumière les raisons de la non-diffusion, l’an dernier, du programme jetant un doute sur le personnage.

Demain, Entwistle devra s'expliquer devant les députés de la Chambre des communes. Et ce soir, Panorama , le programme d'investigation vedette de la BBC One, devrait diffuser sa propre enquête sur Savile et… la BBC , réalisée dans l'urgence la semaine dernière.

Paru dans Libération du 22 octobre 2012

De notre correspondante à Londres

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