John McAfee : fin de cavale un peu cliché

par Sophian Fanen
publié le 11 décembre 2012 à 11h21

Depuis le temps qu'on dit que tout est métadonnées , que les métadonnées c'est la vie. John McAfee, cocréateur des antivirus du même nom, en fuite dans une affaire de meurtre au Belize avant d'être arrêté au Guatemala à cause des métadonnées de géolocalisation d'une photo publiée sur Internet, aurait pourtant dû le savoir.

Hier, depuis sa prison du Guatemala , John McAfee tenait une conférence de presse en ligne, lors de laquelle il a souhaité être accueilli «aux Etats-Unis» , ou «en Grande-Bretagne» , pays dont il aurait également la nationalité. «Il n'y a aucun espoir pour ma vie si je retourne un jour au Belize» , a-t-il encore déclaré, tandis que les autorités guatémaltèques pourraient l'y extrader dans les semaines à venir.

Tout débute le mardi 13 novembre, lorsque la police du Belize débarque dans la maison de John McAfee, 66 ans, résident de la presqu'île d' Ambergris Caye . Ce dernier s'est installé dans ce pays d'Amérique centrale depuis 2008, où il a notamment fondé une entreprise qui développe des antibiotiques naturels. Ceci après avoir vendu ses parts dans les antivirus McAfee (désormais propriété d'Intel) et vu fondre une bonne partie de la fortune accumulée grâce à eux de 1987 à 1994.

Compliqué à vivre selon plusieurs témoignages, vivant entouré de chiens pas vraiment surveillés et de gardes du corps pas commodes, John McAfee avait déjà reçu la visite des forces de l'ordre du Belize en avril pour une histoire de drogue et d'armes qui n'était pas allée plus loin. En cause notamment, des tentatives présumées pour raffiner de la MDPV , une drogue aux effets proches des amphétamines, qu'il aurait exposées en long et large sur l'un des plus gros forums spécialisés selon le site Gizmodo . Des accusations que McAfee a démenti dans un post un rien confus sur son blog. «Je n'ai pas touché à la drogue depuis 30 ans» , a-t-il encore affirmé hier.

Le 13 novembre, la police souhaite l'entendre comme «person of interest» -- c'est-à-dire suspect en plus diplomatique -- après le meurtre d'un retraité Américain vivant à deux maisons de chez lui, avec qui McAfee aurait eu des accrochages -- ce qu'il nie, expliquant lui avoir «à peine adressé la parole» .

Après s'être caché quelques heures, John McAfee finit ce jour-là par fuir, se disant harcelé par des responsables politiques du Belize pour «son refus de payer des pots de vin» à des responsables et sa dénonciation de la corruption dans le pays, selon son avocat au Guatemala, Telésforo Guerra. «Suspect ou pas, je crois que le gouvernement [du Belize] veut me voir hors de son chemin, racontait John McAfee lui-même à l'agence de presse AP au début de sa fuite, mi-novembre. Trop de gens sont morts en prison dans ce pays, donc il n'est pas question que je fasse quoi que ce soit qui m'y conduise.»

Parti avec sa compagne béliztèque Samantha Venagas, John McAfee n'était pour autant pas du genre à disparaître dans la nature. Grande gueule hyperactive, le millionnaire a ainsi documenté ses journées sur son blog, racontant comment il s'est teint la barbe, comment échapper à la police , comment Samantha Venagas a appris à transformer son visage avec des moyens techniques de fou (du coton et des lunettes)...

Un compte Twitter , un Facebook , une chaîne YouTube et des interviews à qui veut complètent le dispositif, digne d'une websérie. On fait plus discret comme fuite, mais John McAfee clame son innocence dans l'affaire pour laquelle il est recherché au Belize, et se sert de tous les moyens à sa disposition pour organiser sa campagne médiatique.

La photo publiée par Vice, qui a permis de localiser John McAfee au Guatemala.

En tout cas, l'homme sait y faire, puisqu'il a fini par passer au Guatemala, rejoint par des journalistes du magazine Vice , toujours attiré par des histoires qui mêlent armes à feu, argent, personnalités exubérantes et pays lointains. Ce fut la plus grande erreur de John McAfee. Quelques jours plus tard, le 4 décembre, Vice poste en effet une photo de son journaliste avec le sexagénaire devant un décor feuillu parfaitement anonyme, proclamant «Nous sommes avec John Afee, bande de bâtards» . Image dont tout le monde oublie de brouiller ou de désactiver les métadonnées qui révèlent -- entre autres choses -- la localisation précise de la prise de vue. Ce qui permet dans la foulée à de nombreux sites de publier des photos aériennes de la maison où le petit groupe est censé se trouver.

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Sauf que non! Mégasurprise: les données ont bien été modifiées, clame McAfee sur son blog , dans un post qui a aujourd'hui disparu . Ce n'est pas à un vieux singe qu'on apprend à faire un pomme-x, non mais.

Sauf que si! Les coordonnées associées à l'image étaient «exactes» , confesse McAfee dans la foulée . Elles ont été publiées par «un technicien débutant» chez Vice ... Mais l'équipée de pieds nickelés se trouve alors déjà au Guatemala, où McAfee s'est assuré les services d'un ancien procureur, l'avocat Telésforo Guerra, et d'un tailleur capable de lui couper un costume sur mesure pour tenir une conférence de presse. Toujours suivi par Vice, il y réaffirme qu'il était «avec [sa petite amie] Sam toute la nuit» du meurtre, qu'il y a «plus d'une douzaine de personnes qui peuvent le prouver» , qu'il n'a «rien à voir avec le pistolet 9 mm» retrouvé sur les lieux du crime et que «le gouvernement du Belize est corrompu à tous les niveaux» . Depuis la première intervention de la police au mois d'avril, les autorités auraient ainsi, selon lui, «tenté de [l]'inculper pour toutes sortes de choses» , notamment la direction d'un laboratoire de médicaments illégal, l'embauche de gardes du corps sans permis ou divers manquements administratifs.

Le lendemain, mercredi 5, John McAfee était malgré tout arrêté par les forces de l'ordre guatémaltèques pour être entré illégalement dans le pays. Dans la foulée, les autorités rejetaient sa demande d'asile et McAfee était brièvement transporté dans un hôpital après un malaise.

Désormais détenu dans la capitale du pays, il attend que la Cour constitutionnelle du Guatemala donne son avis en appel sur sa demande d'asile. Si celle-ci est à nouveau rejetée, le Guatemala a d'ores et déjà annoncé, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Harold Caballeros, sa décision d'extrader l'ex-magnat des antivirus vers le Belize. «Il n'y a pas d'ordre de capture [contre lui au Belize], Monsieur McAfee n'a été accusé d'aucun délit, ils veulent simplement l'interroger» , a ajouté le ministre lors d'un point presse tenu vendredi dernier.

A moins que John McAfee ne s'échappe à nouveau pour une saison 2 de ses aventures. En n'oubliant pas, cette fois, tous les moyens qui s'offrent à lui pour effacer ses traces en ligne.

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