John Truby soigne ses petites séries

par Isabelle Hanne
publié le 4 février 2011 à 11h33

«D'aucuns diront qu'il est impossible d'enseigner l'art de raconter les histoires. Nous ne partageons pas cet avis.» Nous, c'est John Truby , script ­doctor référence, en préface à son manuel Anatomie du scénario . HBO, la Fox, ou Sony Pictures se l'arrachent pour qu'il «dramatise» un scénario imparfait. Impossible, ­cependant, de connaître la liste des séries qui ont bénéficié de ses soins : monsieur a signé une clause de confidentialité avec les studios. S'il est également fin analyste de l'écriture ciné-télé, ce quinquagénaire se décrit plutôt en «American TV junkie» , fan des ­Soprano , de The Wire et de Mad Men . Il donnait ces jours-ci à Paris une masterclass pour enseigner ses techniques, sa «poétique pratique» .

Dans l'amphi, un public très attentif d'auteurs, écrivains et scéna­ristes, de producteurs, de diffuseurs, quelques chaînes de télé… qui n'ont pas hésité à débourser 500 euros pour les trois jours de formation. «Les Européens n'aiment pas trop ces techniques, parce qu'ils trouvent ça trop américain. Moi je trouve ça surtout efficace» , affirme une réalisatrice belge, participante à la masterclass, qui écrit son premier scénario. Truby, lui, assure qu'il se contente de donner des outils aux scéna­ristes pour qu'ils soient plus créatifs. «Attendre l'inspiration, ça débouche toujours sur une impasse. On a besoin de cadres, de modèles qui nous permettent d'avancer.» Il revendique la capacité non pas d'apprendre à écrire, mais d'apprendre des techniques d'écriture. Dans un pays, les Etats-Unis, où la production de fictions se fait à l'échelle ­industrielle, il envisage le processus d'écriture, l'exercice de ­ «storytelling» , comme un artisanat. Il est loin l'écrivain qui a reçu le don, inné, de l'écriture et qui ­attend la maudite inspiration seul à son ­bureau !

Sa méthode est empirique. Il raconte que, scénariste débutant, il ne trouvait nulle part des ouvrages ou des formations pour l'aider. Alors, pendant des mois, il a assisté aux deux séances quotidiennes d'un ­cinéma de quartier. «C'est comme ça que j'ai fait mon éducation. C'était un peu comme un cours d'œnologie : au bout d'un moment, j'étais capable de repérer les struc­tures, les schémas et les cadres récurrents dans tous ces films.» Ses théories d'aujourd'hui se fondent sur l'étude patiente de milliers de longs métrages, de Casablanc a à Tootsie , de Citizen Kane à Forrest Gump , de Mort d'un commis voyageur à Jurassic Park , de Vertigo à Piège de cristal . Et de livres aussi, notamment la Bible, l'Odyssée, Œdipe Roi , Dickens, Thackeray, Shakespeare, Joyce, Austen, Fitzgerald, «et les grands romans français du XIXe siècle» .

Pour lui, une bonne histoire est une «histoire organique, non pas une machine, mais un corps qui évolue» . Il rejette la structure en trois actes prônée par d'autres théoriciens du scénario. Non, le grand truc de Truby, ce sont les «22 steps» , les étapes que doivent ­suivre l'intrigue et l'évolution dramatique des personnages pour obtenir une histoire universelle et efficace. Sur toutes ces étapes, sept doivent absolument figurer dans votre structure narrative. Premier point, attribuer une faiblesse psycho­logique et un besoin moral au héros, qu'il ne sait pas, au début de l'histoire, identifier. Deuxième étape : ce personnage principal doit ensuite être animé par un désir, avoir des objectifs. Troisième phase : un adversaire doit se dresser face à lui, qui «cherche à l'empêcher d'assouvir son désir, mais est également un concurrent du héros, qui tente d'atteindre le même objectif que lui» . Quatrièmement, le héros doit mettre en place un plan, des stratégies pour vaincre son adversaire et atteindre son objectif. En cinq, la confrontation doit avoir lieu, qui déterminera qui du héros ou de l'ennemi va gagner. Numéro six, avec cette confrontation, le héros doit avoir une révélation sur «la ­véritable nature de son être» . Enfin, ultime stade, l'histoire doit trouver un nouvel équilibre, le désir est satisfait, l'épreuve traversée a fait évoluer, positivement ou pas, le personnage principal.

Dans son cours, Truby insiste sur l'importance de soigner les scènes d'ouverture. Sur l'intérêt de ­construire une «arène» dans ­laquelle se déroulera l'histoire, un lieu de vie dense et signifiant (la banlieue américaine, un hôpital, des docks…). De créer aussi une intrigue secondaire forcément liée à l'intrigue principale, d'examiner les différentes structures possibles du récit (linéaire, en spirale…) et de bien séquencer le scénario, avec chaque scène comme une mise en abyme de l'histoire globale. S'il utilise beaucoup de longs métrages de cinéma pour illustrer sa masterclass – ce jour-là, Vertigo, le Parrain, American Beauty  – il croit beaucoup au potentiel artistique de la télé.

«Les très bonnes séries, aujourd’hui, ont comme point commun des créateurs qui ont compris le pouvoir du média télé. Surtout, avec les séries, comme Lost, dont l’intrigue est construite sur plusieurs épisodes, voire plusieurs saisons. Au lieu d’avoir les deux heures qu’offre un film de cinéma, ces séries ont vingt-quatre heures pour tisser un canevas d’intrigues beaucoup plus complexe, avec des personnages multiples et fouillés. Là, on se rapproche des grandes fresques sociales de Balzac, Dickens ou Stendhal. C’est là que se trouve la force de la télé. Ça, jamais le cinéma ne pourra le faire.»

Paru dans Libération du 03/02/2011

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