Jon Lajoie, tête à clics

par Laureen Ortiz
publié le 3 mai 2010 à 9h06

Dans son appartement à Hollywood, Jon Lajoie décroche d'un placard son accoutrement de loser sexiste, chemise hawaïenne, short vert, lunettes de soleil et casquette bon marché. Mais hors de question de le porter dans la rue pour une séance photo, on lui sauterait dessus illico, prévient-il. Et pour cause, la vidéo désopilante qu'il a publiée sur Internet vêtu ainsi a été visionnée plus de 27 millions de fois. Un hit planétaire pour ce clip de mauvais rappeur misogyne intitulé Show Me Your Genitals («Montre-moi tes organes génitaux»). S'il y tourne en dérision le hip-hop à tendance macho en jouant le type pathétique, il fait, en réalité, très bien le rappeur.

Avec son anglais cru, ce natif de Montréal s'est créé des bastions de fans un peu partout, même en Allemagne et en Pologne, où on le presse de venir en tournée. «J'ai vraiment envie de le faire , dit-il, mais il faudra que je transforme un peu mon show.» La France ? «Why not» , répond-il, le seul souci étant qu'en français (qu'il parle quasi parfaitement), son humour trash est moins efficace. Ce sont donc ces deux minutes et cinquante secondes d'obscénités au budget dérisoire qui ont fait de lui une star de la Toile. «J'aime ironiser sur la culture populaire américaine et me moquer de ceux qui se prennent au sérieux» , dit-il. Pas évident de prendre la chose au second degré pour certains ; en tout cas, Jon assure qu'il a reçu les félicitations d'un groupe féministe. Quoi qu'on en pense, son style est tout aussi inclassable que l'était avant lui celui des Monty Python, une de ses références. Définitivement absurdes, nonchalamment rebelles, ses sketchs et parodies musicales sont bien «pythonesques», mais avec cet ingrédient que savourent les enfants des années 80 : un franc-parler sexuel décomplexé.

Né dans une famille «protestante très religieuse» , d'un père canadien francophone et d'une mère anglophone, Jonathan Lajoie, 29 ans, cause pénis, vagins et autre «mouvement pro-fellation» sans ciller. Pas la peine d'y chercher un refoulement psychologique lié à une trop grande fréquentation de l'Eglise étant gosse. C'est la tendance années 2000. Ceux qui ont grandi en France avec les sketchs des Nuls ne se plaindront pas de la manie de ce brun désinvolte à prendre le contre-pied du brouhaha mainstream en en détournant les recettes. Ainsi, dans une autre chanson, un tee-shirt «Radio friendly artist» sur le dos et son album Piece of Shit entre les mains, il raille les majors qui monopolisent les ondes avec des airs convenus, riffs pseudo rock et voix guimauve.

Autre cible : la soudaine idolâtrie des médias pour Michael Jackson lors de sa mort. Et pour son prochain coup, il prépare un clip «qui montre cinq stéréotypes de chanteurs de pop, à la Justin Timberlake» . Pop Song, pour laquelle il a cette fois confié la réalisation à de vrais pros, sera sa première vidéo «à gros budget : moins de 20 000 dollars» . Jon réalise aussi des fausses pubs vantant les vertus, scientifiquement prouvées, du «n'en avoir rien à foutre» , ou le site de rencontres Chatroulette , ou les «lunettes de violeur»

Mais qui est-il, au fond ? Son personnage le plus «autobiographique» est son «mec de tous les jours» , dit-il, celui qui rappe son quotidien de jeune de classe moyenne dans Everyday Normal Guy. Celui qui prend les transports en commun à défaut de pouvoir se payer une voiture de frimeur. C'est d'ailleurs son premier carton, vu plus de 15 millions de fois sur YouTube. Même Tom Waits (qu'il adule) a vanté son clip auprès d'un label. Succombant aux sirènes d'une telle audience, Hollywood l'a fait venir. «Au départ, je voulais tuer tout le monde ici» , se souvient-il.

Il faut dire que, quand il s’est acheté sa caméra à 300 dollars en 2007 pour tromper l’ennui, Jon n’avait aucune prétention professionnelle. Son CV : trois ans d’école de théâtre, après une tentative avortée d’études d’économie. Quelques années sur le petit écran, dans un soap canadien. Quatre ans dans un groupe comme guitariste et chanteur. Aujourd’hui, il trimballe sa guitare acoustique et ses déguisements dans des salles de stand-up.

En dehors de la scène, on dirait que tout cela lui est tombé dessus sans qu'il l'ait vraiment cherché. «Si on m'avait dit il y a deux ans où je serais aujourd'hui, j'aurais rigolé.» Ce mec normal aux 130 000 fans sur Facebook, que Variety a distingué comme l'un des dix comiques à suivre, s'est installé à Hollywood après avoir accepté «le rôle parfait» à ses yeux : celui d'un type bizarre et décalé dans une série diffusée sur Fox, The League , qui reprend à l'automne aux États-Unis.

Armé du kit manager-agent- attaché de presse, il passe des castings, mais sans se prendre au sérieux. «C'est dommage car si j'avais un peu plus stressé ce matin, j'aurais peut-être été bon» , plaisante-t-il après une audition. En cette période faste, Jon risque-t-il de devenir aussi mainstream que ce dont il se joue ? Pas gagné. En mars 2009, pour la sortie de son album, il faisait le choix de ne pas signer avec une maison de disques et de se contenter d'iTunes : Jon Lajoie tient à son indépendance.

Paru dans Libération du 30 avril 2010

De notre correspondante à Los Angeles

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus