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Libération

Justice : 1,5 million de dollars pour 24 mp3

par Alexandre Hervaud
publié le 5 novembre 2010 à 17h12
(mis à jour le 10 novembre 2010 à 18h37)

Jammie Thomas-Rasset, une mère de famille originaire du Minnesota, a été condamné mercredi à payer une amende de 1,5 million de dollars . Ravis, ses adversaires n'ont pas tardé à publier un communiqué triomphant débutant par : «nous remercions le jury d'avoir reconnu la gravité des mauvaises actions de l'accusée» . Avec un montant à payer aussi astronomique, vous supposez peut-être que Jammie Thomas-Rasset a été reconnue coupable de trafic d'organe ou de proxénétisme aggravé, par exemple. Même pas, c'est bien pire : on lui reproche d'avoir téléchargé illégalement et partagé 24 chansons sur Kaaza en 2006. Un crime odieux qui lui attire depuis des années la colère et l'acharnement judiciaire de la toute puissante Recording Industry Association of America (RIAA)  à qui l'on doit le communiqué mesuré cité plus tôt. Parmi les 24 morceaux en question , on trouve du No Doubt, du Green Day, et le fameux tube de Journey ici fort à propos, Don't stop believin ' :

Petit flashback sur les ennuis de Jammie Thomas-Rasset , son ordinateur est repéré en 2006 avec sur le disque dur près de 1700 chansons partagées sur Kaaza, logiciel de peer-to-peer tombé depuis dans l'oubli. Elle clame son innocence depuis : l'an dernier, elle confiait en direct à CBS qu'elle avait acheté les fameux morceaux en CD avant de les convertir sur son ordi, et qu'éventuellement un de ses enfants les avait partagés sur Kaaza. La RIAA, qui représente les quatre majors américaines de l'industrie musicale, attaque l'internaute (en se concentrant sur 24 fichiers mp3), et Jammie est condamnée en 2007 à payer 220000 dollars de dommages et intérêts.

Thomas-Rasset fait appel, et a toutes les raisons d'y croire puisque sa sentence est qualifiée de «disproportionnée» par un juge en 2008... Pas de chance, les choses ne font qu'empirer lors de son deuxième procès en 2009, où les dommages et interêts exigés grimpent cette fois-ci à 1,92 millions de dollars, soit près de 80000 dollars par chanson illégalement téléchargée ! À côté, le camarade James Climent avec ses 20000 euros d'amende ferait presque figure de privilégié. Ce qui distingue Jammie Thomas-Rasset, c'est son refus de trouver un arrangement avec la RIAA hors tribunal ou de plaider coupable, ce qui fait d'elle la première internaute à passer en cour fédérale pour ce genre d'affaire.

Un nouveau procès est demandé par la défense, qui espère évidemment que l'amende sera fortement revue à la baisse, voire supprimée. Début 2010 , le juge en charge de l'affaire réduit de manière plutôt significative ledit montant, désormais fixé à 54000 dollars, puis, baissée à nouveau par la RIAA. La finalement très généreuse Association propose en effet à Jammie, mère de quatre enfants, de régler la somme de 25000 dollars, histoire de clore l'affaire une bonne fois pour toute. Jammie refuse, ce qui permet dès lors à la RIAA de la présenter comme une tête de mule anti-artiste : «Mme Thomas-Rasser a catégoriquement refusé chaque offre d'accord qui lui a été proposée, notamment la plus récente consistant à verser 25000 dollars à un organisme de charité pour musiciens» . Bouh la vilaine ! Refuser de payer 25000 dollars pour à deux douzaines de mp3, quelle mesquinerie, vraiment.

Tout ça nous amène donc à la dernière décision en date du 3 novembre avec cette somme de 1,5 millions de dollars (soit 62500 dollars par morceau), que les défenseurs de Mme Thomas-Rasset entendent bien combattre à nouveau avec un énième appel. Pendant ce temps là , en Allemagne, une affaire assez similaire (en 2006, un ado de 16 ans avait été repéré alors qu'il partageait deux morceaux sur les réseaux p2p) s'est achevée à la fin du mois d'octobre dernier. Bilan des courses pour le contrevenant : une amende de 30 euros, au lieu des 600 euros demandés par les ayants droit. 15 euros la chanson, ça fait un peu cher, non ?

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