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Libération

«Kaboul Kitchen», cuisine aux huiles

par Luc Mathieu
publié le 13 février 2012 à 20h48

Ils dansent, boivent du champagne et se jettent nus dans la piscine. Ils font la fête à Kaboul comme à Saint-Trop, New York ou dans un bar branché de Shanghai. Blancs, riches et bien portants, ils forment la communauté expatriée d'Afghanistan, venus d'Europe et des Etats-Unis dans la foulée du 11 Septembre et de la chute du régime taliban. Jacky (Gilbert Melki, impeccable en profiteur de guerre désabusé et cynique) les reçoit chaque jour au Kaboul Kitchen, le seul restaurant avec piscine de la ville. «Un lieu de débauche dans le pays le plus musulman du monde» , résume-t-il.

La nouvelle série de Canal+ dépeint en douze épisodes de trente minutes une réalité méconnue du conflit afghan. Celle d'un monde parallèle, qui vit dans sa bulle, sans contact ou presque avec la population afghane. La plupart -- mercenaires, consultants et hommes d'affaires -- sont là pour l'argent, attirés par les milliards de dollars déversés par la communauté internationale. D'autres -- diplomates et humanitaires -- sont venus avec leurs illusions et l'espoir de «sauver l'Afghanistan» . La force de la série est de montrer à travers quelques portraits que les deux mondes ne s'opposent pas toujours. Idéalistes et profiteurs voient leurs parcours se croiser, leurs ambitions se mêler.

Sophie (Stéphanie Pasterkamp, crédible) est une jeune et jolie humanitaire. Fille de Jacky, elle débarque à Kaboul pour construire des écoles pour filles et se voit confier le projet de refourguer 300 paires de ski à des gamins afghans. Axel (Benjamin Bellecour, parfait en jeune diplômé manipulable et corruptible) a lui aussi perdu ses illusions. Il était là pour l’humanitaire, il a fini par monter une entreprise de com avant d’organiser la campagne électorale d’un seigneur de guerre et narcotrafiquant notoire (Simon Abkarian).

Jacky, lui, observe. Il se démène pour trouver de l'alcool (interdit dans le pays, mais toléré pour les étrangers), gérer les relations avec son voisin conservateur qui ne supporte pas que ses enfants reluquent les filles en bikini, et apprend à ses cuisiniers à préparer des confits de canard. «S'il y a plus de canard, tu prends du poulet et tu dis aux clients que c'est du confit de poulet.» Dans un pays où la corruption se développe à mesure que la guerre s'installe, il règle ses problèmes avec la police ou le service des impôts à coups de bakchiches. Ces situations peuvent paraître irréalistes ou caricaturales, mais hormis quelques exagérations, toutes ont été inspirées par l'histoire du Français Marc Victor, ancien journaliste reconverti dans l'humanitaire, qui en 2002 a monté l'Atmosphère, seul «restaurant français» de la capitale afghane. Il l'a revendu en 2008, fatigué de vivre dans un pays en guerre. C'est d'ailleurs ce que ne montre que rarement Kaboul Kitchen : le conflit en lui-même.

La série, tournée en majeure partie en Tunisie, se déroule en 2005, dernière année de la parenthèse sinon enchantée, du moins optimiste, qu’a connue l’Afghanistan après le 11 Septembre. A l’époque, il était encore possible de croire que le pays, débarrassé des talibans, s’enrichirait, qu’il pourrait être reconstruit et que la guerre n’était pas inévitable. Depuis 2006, les espoirs se sont éteints, à mesure que les enlèvements, les attentats et le nombre de victimes civiles augmentaient. L’Atmosphère existe toujours, mais l’ambiance y est plus pesante, voire déprimante. Par mesure de sécurité, les employés de l’ONU et d’une majorité d’ONG n’ont plus le droit d’y aller. La fête est finie.

Paru dans Libération du 13 février 2012

Kaboul Kitchen

_ série créée par Marc Victor, Allan Mauduit et Jean-Patrick Benes

_ Canal +, ce soir, 20 h 55 (épisodes 1, 2 et 3/12).

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