Kosciusko-Morizet, en équilibre sur la Toile

NKM installe un comité pour analyser et expliquer la neutralité du net.
par Andréa Fradin
publié le 25 février 2010 à 16h59
(mis à jour le 26 février 2010 à 12h00)

Hôtel de Broglie, à quelques encablures de l’Assemblée nationale. La secrétaire d’Etat chargée de la Prospective et du Développement de l’économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet, introduit le comité chargé de réfléchir à la neutralité du Net. Prof de Harvard, entrepreneurs, avocat… que des cerveaux experts du Web. Dans l’audience aussi, les profanes se font rares : journalistes à 01 Net, 01 Informatique ou au site de l’Expansion, la plupart sont coutumiers du sujet. Difficile d’en dire autant des plus de 19 millions d’abonnés haut ou très haut débit recensés par l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) en septembre dernier. Difficile aussi, et cela est plus ennuyeux, d’en dire autant de la classe politique.

Appliquée au Net, la neutralité renvoie au principe selon lequel tout utilisateur peut accéder à l’ensemble des contenus, applications et plates-formes disponibles sur la Toile, et ce quel que soit son fournisseur d’accès à Internet (FAI) ou son environnement technique. Aucun filtre ne doit être installé sur les tuyaux qui font le réseau ; ceux qui sont en charge de cette plomberie, opérateurs et FAI, ne doivent pas sélectionner ce qui y passe. Et, surtout, ils ne doivent pas établir de priorité en fonction du type d’information ou de leur provenance. Mail important, photo de vacance, conversation en temps réel, vidéo débile ou pornographique, tout doit circuler dans les mêmes conditions. La neutralité est donc un pilier indispensable du réseau, aussi bien pour les internautes que les fournisseurs de contenus.

En ce qui concerne ces derniers, le débat est vif depuis longtemps. Des opérateurs reprochent en effet à certains sites de boucher la tuyauterie ou, en termes plus appropriés, d’être trop gourmands en bande passante. Notamment ceux qui fournissent de la vidéo, comme YouTube ou Dailymotion. Un encombrement que des prestataires aimeraient bien faire payer. En résumé, la mise en place d’un Internet à deux vitesses, optimisé pour ceux qui paient pour les tuyaux.

Problème : un tel choix est un frein majeur à l'évolution technologique du réseau et à l'apparition de nouveaux services innovants. «Google, Facebook, Skype et les blogs sont tous nés d'un réseau ouvert, explique Yochai Benkler, membre du comité et professeur à la faculté de droit de Harvard. Et il n'y a pas qu'eux, ça concerne aussi les milliers de gamins qui essaient d'inventer de nouvelles choses aujourd'hui.»

Les implications de la neutralité du Web sont donc lourdes, tant en termes économique que social, et c'est le comité inauguré hier qui doit en «clarifier» les contours. Février 2010: il était temps que les instances publiques françaises s'emparent d'une notion qui est un des fondements d'Internet. Barack Obama, par exemple, en avait fait un de ses thèmes de campagne en 2008. Kosciusko-Morizet espère «élaborer une doctrine gouvernementale en la matière» , mais également réconcilier «parlementaires et sphère Internet» , deux mondes clivés lors des discussions menées autour d'Hadopi ou, plus récemment, de la Loppsi.

C'est d'ailleurs en ce sens qu'une plate-forme de réflexion en ligne devrait être accessible d'ici quinze jours, afin que les internautes contribuent au débat. La mise sur pied de ce comité arrive sans doute un peu tard, mais son travail étoffera peut-être la culture web des dirigeants politiques. C'est son principal objectif et ce n'est pas du luxe. Par contre, il n'impliquera pas forcément la mise en place de grandes mesures médiatiques et sensationnelles. Et se contentera peut-être de prôner un surprenant statu quo. C'est en tout cas l'avis de Tarik Krim, fondateur de la société Netvibes et l'un des experts du jour : «J'aimerais juste qu'Internet reste comme il est. Il est imparfait, mais ça marche bien.»

Paru dans Libération du 25 février 2010

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