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Libération
Critique

Ku sec pour Hong Sang-soo

Hips. Le cinéaste sud-coréen signe une balade alcoolisée, riche en rencontres et quiproquos.
par Eric Loret
publié le 5 mai 2010 à 0h00

Le héros soupire. C’est la toute première image. Doit-il vraiment se jeter dans l’action ? En tant que double de Hong Sang-soo, il est un peu obligé, sinon le film n’ira pas loin. La caméra l’aide donc, élargissant le champ tout en glissant vers la droite : une jeune fille apparaît, qui prend monsieur le réalisateur Ku en charge, l’emmène vers les bureaux du festival de ciné dont il a accepté d’être juré. Hélas, il ne faut pas suivre des inconnus dans la rue, et encore moins des connus, surtout s’ils vous proposent d’aller boire un coup chez eux.

Ratage. C'est la leçon des Femmes de mes amis, qui apprend également à se méfier des salles de bains et à courir vers la mer. Pour le reste, Like You Know it All (titre international) est assurément un film de Hong Sang-soo, sorte de Rohmer coréen ivre (Turning Gate, Woman on the Beach…), bâti en deux parties (deux villes et deux situations), avec retours de phrases, d'objets et d'événements, sur le thème du ratage et des amours qu'on tente de ressusciter. Dans le rôle des chiens entre ces quilles, un réalisateur (Ku), un vieux peintre (son ex-prof de cinéma) et des amis oubliés par poignées. Les habitués s'y reconnaîtront, voire s'en lasseront. Mais c'est aussi une vraie comédie, dont le sous-titre pourrait être «in vino veritas» - ou «in cervisia» en l'occurrence, mélangée à du whisky. Sauf que Ku ne connaîtra la vérité qu'à titre onirique, ou du moins en forme de donut, puisqu'à chaque fois qu'on le fait picoler on l'accuse quelques jours plus tard de faits honteux et indéfinis dont il ne se rappelle rien, coma éthylique oblige.

Le titre coréen original signifie «Tu ne savais même pas». En le comparant au titre international, «Comme chacun sait», on comprend à peu près la dramaturgie humoristique du cinéaste. Le plus drôle est que Ku est une sorte de Bartleby qui «préférerait ne pas». Rester couché est apparemment son état normal, même s'il apprécie qu'on s'intéresse à lui. Dès qu'il accepte de sympathiser, il est cependant irrésistiblement entraîné dans des relations triangulaires discordantes. A chaque fois, les gens commencent par couvrir Ku d'éloges et d'amitié, mais l'affection, pour peu qu'il y réponde, se métamorphose bizarrement en motif de différend, pouvant aller jusqu'au caillou dans la gueule. Et finalement, alors que c'est toujours sur Ku que tombent les reproches, c'est aussi pratiquement lui qui paraît le moins timbré parmi tous ces passifs-agressifs qui confondent (mais c'est une névrose banale) amour et haine. Son seul mais impardonnable tort est de croire au père Noël, c'est-à-dire à l'âme sœur et à l'amitié réelle. Bien sûr, rien n'empêche de regarder les Femmes de mes amis par l'autre bout des relations humaines et de considérer que Ku n'y comprend tellement rien que c'est lui le coupable et le malfaiteur de lui-même.

Truelle. Le rire de Hong ne s'arrête pas à ce flottement toujours indécis des espoirs et des rôles, à cette réversibilité légère du marivaudage. Il recycle sa syntaxe habituelle (panoramiques découvreurs et recadrages à la truelle) en une théâtralisation qui mime les désirs et les craintes de Ku. Il nous met au niveau de ses yeux simplets ou dans la peau d'Epicure regardant les atomes tomber. L'inertie, filmée de l'intérieur, ne manque pas de joyeusetés.

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