Interview

Abdoulaye Wade : «L’Afrique manque surtout d’ordinateurs»

Développement. Abdoulaye Wade, président sénégalais :
par Christophe Alix, LYON, envoyé spécial
publié le 25 novembre 2008 à 16h22

Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, était hier à Lyon pour assister à la première conférence internationale sur la solidarité numérique, qui réunissait 300 experts, représentants de gouvernement, du secteur privé ou d'ONG, autour des enjeux de la fracture numérique. Parrain de l'événement, c'est lui qui, le premier, a eu l'idée d'une coopération mondiale en matière de nouvelles technologies en lançant, en 2003, un outil de développement dans ce secteur clé, le Fonds de solidarité numérique (FSN). Présidé par l'ex-ministre Alain Madelin, ce fonds qui a vu le jour en 2005 a reçu moins de 5 millions d'euros. Abdoulaye Wade dresse, pour Libération, un bilan très critique des progrès accomplis.

Le fonds anti-fracture numérique a-t-il permis de réduire l’écart entre le Nord et le Sud ?

Non, et je suis en colère. On s’est écarté de l’objectif initial. Ce qui manque le plus à l’Afrique et aux pays du Sud, ce sont des ordinateurs, pas de l’argent. Le numérique est capital pour nos pays dans la mesure où c’est un levier transversal puissant pour résoudre l’ensemble des problèmes liés au développement. Si on résorbe notre déficit numérique, on résoudra d’autant mieux l’ensemble de nos fractures dans tous les domaines.

Qu’est-ce qui ne marche pas ?

On a dépensé beaucoup d’argent en voyages et en conférences, mais les financements sont trop faibles, tardent à venir ou ne sont pas honorés ; il faut cesser de courir après les promesses. Dix-sept pays ont participé à travers des cotisations qui s’élèvent à 300 000 euros par an et par Etat mais, à part la France, personne n’a contribué dans l’UE. Trop peu de pays, et quasi aucune entreprise, ont répondu à notre appel.

Que faut-il faire alors ?

Créer d’urgence des filières massives de recyclage d’ordinateurs pour les pays du Sud. J’ai proposé le chiffre de 500 millions d’ordinateurs en cinq ans, dont 500 000 venant d’Europe, pour équiper les écoles. Toutes ces conférences, ça suffit, la Banque mondiale nous avait promis 1 milliard de dollars (780 millions d’euros) à Kigali pour le numérique, on les attend toujours. Il faut agir, vite.

Les entreprises coopèrent-elles ?

Trop peu. Bill Gates a compris que l’Afrique était un grand marché numérique et nous avait promis des logiciels d’éducation pour nos professeurs. Toutes ces entreprises doivent nous aider à collecter des ordinateurs et pourraient, par exemple, financer leur transport. Ceux que l’on aide aujourd’hui seront des clients demain et, avec la baisse des prix du matériel, des transferts massifs vers les pays du Sud deviennent abordables.

Les modes de financements innovants sont-ils une piste ?

Le Sénégal est parmi les rares pays à avoir mis en place une loi dite de 1 % numérique, qui concerne les partenaires privés du fonds. Chaque firme gagnant un marché de biens ou de services lié aux technologies de l’information s’engage à verser 1 % du montant de la transaction au FSN. Mais elles suivent encore trop peu.

Les connexions ne sont-elles pas trop chères en Afrique ?

C’est vrai, Internet reste trop cher. Mais nous avons mis en place des tarifs spéciaux pour les services publics et les écoles. Les opérateurs se multiplient, les satellites aussi comme le dernier lancé par l’Inde et dont le siège est à Dakar. Les chefs d’Etat africains seront bientôt reliés par vidéoconférence. Quand je suis arrivé à la tête de l’Etat, en 2000, il y avait quatre ordinateurs au siège de la présidence !

Les autres chefs d’Etat africains sont-ils autant au fait de tout ça ?

Ça dépend (rires). De toute manière, ils me font confiance.

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