L’«Insoutenable» virée

par Catherine Mallaval
publié le 11 juin 2010 à 9h22

Dimanche 6 heures. Une femme est réveillée en sursaut. Devant sa porte, un homme en uniforme regarde le sol. «Voilà madame, votre fils a eu un accident de la circulation à 3 h 30 sur la départementale 22. Il a perdu la vie, madame.»

Flash-back. Samedi 20 heures. On se retrouve entre potes pour une soirée, qui s'annonce arrosée. Elodie, Claire, Laura, Julien, Yannis et Fred ne savent pas encore qu'ils vont vivre l'enfer de la tôle qui tue après l'abus d'alcool. L'arrivée des secouristes, la désincarcération, les regards pleins d'effroi, le sang, la mort de Frédéric… C'est scénarisé comme un film d'horreur. Réaliste comme dans la vraie vie quand elle tourne mal. Long comme cinq minutes d'éternité. Baptisé Insoutenable , il s'agit du dernier clip de la Sécurité routière.

L'objectif ? «Provoquer une prise de conscience du risque que représente le fait de conduire en état d'ivresse et de monter dans une voiture pilotée par une personne qui n'est plus maîtresse d'elle-même.» Dans le viseur, les jeunes, parce que «les accidents de la route sont la première cause de mortalité dans cette tranche d'âge» .

De fait, chaque semaine, sept jeunes âgés de 18 à 24 ans perdent la vie dans un accident de la circulation lié à l'abus d'alcool. D'où l'idée de diffuser cette vidéo sur Internet seulement ( YouTube , site de la Sécurité routière …). La voir suppose une démarche volontaire.

Et ça marche ? En tout cas ça buzze, puisque depuis le début de la semaine, plus de 600 000 internautes l'ont vue. Mais quid de son efficacité ? La peur n'est-elle pas «une insulte à l'intelligence» , comme le dit un internaute ? La trouille éveille-t-elle la vigilance ? «Elle en fait partie. Il faut essayer tous les leviers pour appeler à la prudence» , a expliqué Michèle Merli, déléguée interministérielle à la Sécurité routière sur Liberation.fr.

Pour Jean-Pascal Assailly, chercheur à l'Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (1), «il peut être justifié de faire peur, de faire du hard, notamment quand il s'agit d'attirer l'attention de jeunes qui passent trois heures sur l'écran. Ce n'est effectivement pas avec de la comtesse de Ségur qu'on va capter leur attention. Mais cela ne suffit pas d'éveiller leur affect. Si l'on ne joue que là-dessus, ils vont chercher à gérer leur peur, plutôt que modifier leur comportement. Et ce, en décrédibilisant la source qui leur envoie de l'angoisse ou en relativisant les risques avec des phrases comme : "il faut bien mourir de quelque chose".» Le risque extrême ? Voir des jeunes faire l'inverse de ce qu'on leur recommande. Pas gagné, alors, l'abus de sauce tomate sur le pare-brise ? «Les campagnes ne sont pas tout. Il faut éduquer, parler du raccompagnement, des sorties de boîtes de nuit à 3 heures du matin… Si les campagnes de prévention contre le sida ont fonctionné, c'est que l'on mettait en avant la solution de la capote plutôt que des images de malades.»

(1) Auteur de Jeunes en danger , éd. Imago.

Paru dans Libération du 10 juin 2010

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