L’Italie rompt avec son mortel amiante

par Eliane Patriarca
publié le 29 novembre 2011 à 17h39
(mis à jour le 29 novembre 2011 à 17h46)

«J'ai été embauché à l'usine Eternit en 1974. J'avais 24 ans, j'étais content, c'était aussi bien que de travailler à la Fiat. Mais tous les deux jours, sur le portail de l'usine, il y avait un nouvel avis de décès d'un ouvrier. Je me demandais ce qui se passait là-dedans.» Ce qui se passait, Nicola Pondrano, 61 ans, militant syndical, le raconte à la caméra, la voix étranglée, au palais de justice de Turin.

À l’époque, l’amiante se maniait quasiment sans aucune protection dans l’usine Eternit de Casale Monferrato, une petite ville du Piémont. Et le soir, on ramenait ses bleus constellés de poussière blanche chez-soi. On rapportait également des plaques d’amiante-ciment données par le patron pour paver les allées ou couvrir les toits. Résultat : une catastrophe sanitaire et environnementale sans précédent frappe les ouvriers et les habitants de la ville, tous contaminés par la poussière mortelle et victimes d’asbestose ou de mésothéliome, le cancer incurable de la plèvre.

Malgré la fermeture de l’usine en 1986, l’amiante infiltré dans la ville continue de tuer environ un habitant par semaine. Mais Casale est aussi la ville de la lutte. Une bataille est menée depuis trente ans par un singulier front de syndicalistes, de médecins et de victimes, à qui l’on doit l’interdiction de l’amiante en Italie en 1992 et le procès historique qui structure le documentaire de Niccolo Bruna et Andrea Prandstraller. Ouvert le 10 décembre 2009, ce procès, le plus grand jamais intenté en Europe pour une catastrophe industrielle, oppose des milliers de parties civiles aux propriétaires de la multinationale Eternit (le Suisse Stephan Schmidheiny et le Belge Jean-Louis de Cartier de Marchienne).

Bâti autour des audiences et des comparutions, enrichi de contrepoints au Brésil et en Inde, où l'amiante continue à être produit et utilisé, le documentaire tire sa force des témoignages d'une poignante dignité des citoyens de Casale, et de ces moments de convivialité où affleure l'instinct de vie. Le 4 juillet, le parquet de Turin a requis des peines de vingt ans de prison. Attendu par toutes les victimes de l'Hiroshima lent et silencieux provoqué par l'amiante dans le monde (100000 morts en France entre 1995 et 2025), le jugement doit être rendu le 13 février.

Paru dans Libération du 29 novembre 2011

Bande-annonce :

Poussière mortelle, le grand procès de l’amiante

_ documentaire de Niccolo Bruna et Andrea Prandstraller

_ Arte, ce soir, 20 h 40

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