L’amour vache

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 19 juin 2011 à 10h58
(mis à jour le 19 juin 2011 à 12h09)

Les Français sont comme çô. Une histoire eud prince chôrmant, du fromôge eud chèvre (ou eud vôche, hein, çô môrche pôreil), un beau paysôge et zou, des millions de téléspectôteurs dans la besôce. Ah mais : la besace, on veut dire. Désolés, nos doigts se mettent à taper picard sitôt qu'on parle de l'Amour est dans eul pré, dans le pré , pardon. Sans doute le souvenir, vivace encore, de l'édition 2010 et de Pôscôl, fan de Metallicô mais beaucoup moins de la jeune fille candidate à son cœur venue mettre un sacré souk dans son quotidien fait de petits-déjeuners au coq au vin. Mais on s'égôre. L'actualité du moment c'est le record d'audience de l'Amour est dans le pré . Il y a deux semaines, l'épisode «Que sont-ils devenus?» sur les agriculteurs de l'an dernier s'offrait le luxe de battre l'équipe de France sur TF1 (oui, bon d'accord, contre l'Ukraine) : 5,8 millions de téléspectateurs. Lundi, le premier épisode de la sixième saison s'est frisé les moustaches à 6,3 millions de personnes découvrant les émois des nouveaux cœurs solitaires de M6. Ce qui n'est pas dommage, vu la période de vaches audimatesques non pas maigres mais carrément faméliques que traverse la Six ces temps-ci. Et, phénomène rare, au fil des saisons de ce «Tournez comices», elle ne cesse de grimper, l'audience. Mais pourquoi ? On vous explique tout ça, heu tout çô.

Parce que James Blunt

C'est un des plus grands mystères de l'émission. Comment l'audience peut-elle grimper alors qu'il faut à chaque numéro s'appuyer le générique signé James Blunt ? «My life is brilliant, my love is pure» et gnagnagna… Nous ne voyons qu'une explication : à raison de 40 émissions en 5 saisons (soit 80 fois la mièvre scie, au début et à la fin), de deux coupures pub par émission (soit 160 fois les quelques notes du générique), les téléspectateurs s'ingénient à imaginer une nouvelle façon (déjà 240 donc) de trucider James Blunt, depuis un malencontreux accident de moissonneuse-batteuse jusqu'à (c'est notre préférée) l'arrachage des amygdales à vif sans passer par la bouche mais par un autre orifice, au moyen de ces grands gants dont se servent les vétérinaires pour inspecter le petit veau dans le ventre de sa maman meuh.

Parce que Karine Le Marchand

Il y a aussi le facteur Kaka - c'est le surnom de l'animatrice ainsi qu'elle l'a avoué à une agricultrice. Elle est comme ça, Kaka, très nature, toujours prompte à remarquer la vache qui fait caca (ben oui), à souligner que le jus de raisin produit par ce célibataire est particulièrement laxatif. Nature, quoi, bonne copine. Mais prudente aussi, Kaka, quand elle repère dans l'œil insistant du candidat une certaine envie de faire d'elle son quatre-heures pour l'enterrer ensuite sous un tas de fumier (ou l'inverse, c'est selon). Pour l'animatrice, le succès grandissant de l'Amour est dans le pré est dû, a-t-elle expliqué au Figaro , à la «sincérité» du programme, «un contre-pied à la télé-réalité et à la vulgarité» et, qui plus est, «respectueux» des candidats. Dis donc, Kaka, tu ne vas pas nous la faire.

Parce que les bêtes de foire

Oui, hein Kaka, pas à nous, car on sait pertinemment sur quelle cruelle mécanique repose l'Amour est dans le pré : M 6 jette des play-boys en bottes de caoutchouc en pâture au téléspectateur qui vit sans jamais voir un cheval, un hibou, que ça gêne de marcher dans la boue (ça, Michel Delpech, ça ferait un beau générique). Ah on les imagine les casteurs écumant les coopératives agricoles, les réunions de la FNSEA, voire les stages de danse country (une calamité dans nos campagnes) ou les buvettes de village à la recherche de la perle rare. Ou plutôt du rang de perles. Car il faut de tout dans l'Amour est dans le pré : du mal dégrossi façon Pôscôl de l'année dernière, et du gossbo style Fabien de cette cuvée [note de l'auteur masculin : ah ouais, t'aimes les mecs qui mettent des chapeaux de cow-boy maintenant ?] pour faire rêver Margot. Et le tout d'âges différents pour que Margot, la maman de Margot et la mémé de Margot y trouvent leur compte. D'ailleurs, à la présentation des agriculteurs de cette année : légère déception. A première vue, pas de phénomène freak en sabots, de ceux qui semblent voir pour la première fois une femelle debout sur ses pattes arrières. Une inquiétude vite dissipée en constatant lundi dernier que ce bellâtre de Matthieu a l'inquiétante manie de parler de lui à la troisième personne : «Pour vos steaks, vous voulez un truc tout simple , propose-t-il à ses prétendantes, comme ça, ce sera pas compliqué pour Matthieu.» C'est quoi, déjà, le numéro du GIGN ?

Parce que les chignons

Nous voilà donc 6,3 millions d'andouilles à ricaner de la pourtant élégante veste de chasse qu'arbore Loïc pour aller réceptionner les deux candidates à son cœur en jachère. Et c'est là que survient la deuxième couche de rire à la vue des donzelles se décomposant devant la ferme en ruine, la toile cirée graisseuse et la perspective de finir ses jours dans cet endroit que jamais n'atteindra la moindre connexion 3 G. Et bientôt la troisième lors de l'étape, cruciale, du supermarché : l'agriculteur emmène ses dulcinées faire des courses et c'est là, au milieu des rayons, que démarre la guerre des chignons. Entre celle qui cuisine à l'huile d'olive parce qu'ici on est dans le sud, «cocotte» , et celle qui cuisine au beurre parce qu'elle, elle n'a pas de souci avec le gras, gros tas. Ajoutez un petit pianotage excédé d'ongles sur le plastique du chariot propre à vriller les nerfs et vous aurez une idée de l'ambiance joyeuse qui s'annonce. C'est qu'elles jouent leur vie, ces femmes : les voilà, après quelques relations ratées, prêtes à tout, même à aller s'enterrer dans une maison en torchis sans eau ni électricité (on exagère, mais pas tant que ça). Parfois, ça tourne vinaigre, comme Freddy l'an dernier dupé par deux grues venues juste se payer sa trogne. Parfois, ça tourne comme il faut (19 lardons au compteur de l'émission). Parfois, au spectacle de Jean-Michel confessant «je fais des bisous à mes vaches parce que j'ai manqué d'amour» , on a quand même envie de se cacher la tête dans le fumier.

Paru dans Libération du 18/06/2011

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