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Libération

L’aversion originale des studios

Les sites de sous-titrage amateur menacés de poursuites par les majors.
par Alexandre Hervaud
publié le 8 mars 2009 à 11h10
(mis à jour le 8 mars 2009 à 11h11)

«We will be happy to help you make money in France. And of course, to make some money with you for us.» Ces mots, prononcés en anglais avec un accent de bûcheron landais qui ferait pâlir une institutrice de CM2, furent bredouillés par Nicolas Sarkozy il y a quelques mois. Le discours, disponible sur YouTube , fait la joie des moqueurs anglophones, et illustre assez bien la légendaire indigence hexagonale en matière de langues étrangères.

Et pourtant, depuis des années, les oreilles de millions de Français s’habituent à la langue de Shakespeare (ou de Joss Whedon, son pendant américain) grâce aux séries télé appréciées en version originale. Mais voilà : au nom de la lutte antipiraterie, deux grands studios, Warner France et NBC Universal, viennent de s’attaquer à des sites de sous-titrage amateur, renvoyant une partie des pauvres Gaulois à leur triste sort de Sarkozy ­monoglotte.

En effet, différentes solutions s'offrent aux amateurs de série en VO : les (rares) diffusions télé en version multilingue (VF ou VOST, au choix), les coffrets DVD et, pour les plus impatients, In­ternet. Pour cette dernière solution, deux options : celle légale, payante et limitée des sites de vidéo à la demande (VOD) comme TF1 Vision qui propose les épisodes de Lost et Dr House en VOST (les sous- ­titres sont réalisés en amont) moins de 24 heures après leur diffusion américaine. Ou celle gratuite et clandestine qui irrite majors et politiques : le ­téléchargement illégal ou en streaming, soit la lecture continue sur l'ordinateur.

Pour les odieux pirates français souhaitant profiter des séries étrangères sans débourser un centime, les sites de fansubbing – sous-titrage par les fans – sont une bénédiction : quelques heures (ou jours, ça dépend) après la mise en ligne des copies piratées sur les réseaux peer-to-peer, des équipes de passionnés bénévoles proposent les sous-titres des principaux shows télé, majoritairement américains. Ceux des sites de référence ( sub-way.fr , forom.com ) sont de bonne facture, même si les puristes pourront toujours trouver quelques failles, surtout pour les sitcoms aux références pop culture US ( The Office, How I Met Your Mother ) pas toujours évidentes à traduire.

Dans ces conditions, il n'est pas surprenant d'entendre les professionnels parler de «concurrence déloyale» , voire de «vol» . Pour Pascal Lechevalier, directeur de TF1 Vision, «quand vous achetez un programme, vous pouvez espérer avoir une exploitation sereine et paisible des droits dont vous disposez, et actuellement ce n'est pas le cas» . Et du côté des ayant-droits, plus question de laisser faire. D'où l'action de Warner France et NBC Universal (qui ont un département antipiraterie commun). Les deux majors ont envoyé par mail une mise en demeure aux principaux sites français de fansubbing . Les administrateurs de sites ont ainsi pu lire : «En mettant à disposition des traductions des dialogues des œuvres Warner Bros., vous portez atteinte à nos droits. Ceci engage votre responsabilité civile et vous expose à d'éventuelles poursuites judiciaires civiles.»

Parmi les principaux concernés, certains ont réagi immédiatement : fermeture de sites (comme Frigorifix ), retrait des sous-titres de séries estampillées Warner et NBC Universal. Véritables maillons faibles de la chaîne, ces sites n'ont pas les moyens d'assumer des procédures en justice et la plupart préfèrent se plier aux demandes des ayant-droits. Officiellement, ces derniers ne préfèrent pas communiquer sur l'affaire, attendant le passage de la loi Création et Internet pour en parler «avec pédagogie» . La loi prévoit de favoriser l'offre légale, qui mécontente une majorité de spectateurs : trop cher (1,99 € l'épisode pour 48 h de disponibilité), des verrous numériques…

A TF1 Vision, qui a inauguré ce système de «premium VOD» avec la saison 2 de Heroes en septembre 2007, on explique que les séries sont chères à produire, et que le système de preview, qualifié «d'industriel» , a un coût. «C'est une utopie de croire que le monde tourne sans modèle économique. Baisser les prix, ça serait de la pure philanthropie !» , explique Pascal Lechevalier. Et d'ajouter : «La VOD, c'est loin d'être la poule aux œufs d'or.» Raison de plus pour déplumer les fans.

Paru dans Libération du 7 mars 2009

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- Warner menace les sites français de sous-titres

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