Cécile Bothorel est chercheuse en logique des usages sur Internet au sein de l’école d’ingénieurs Télécom Bretagne, à Brest. Elle a notamment travaillé sur la recommandation de contenu, d’achat ou de lieu par des sites ou applications, qui avec la géolocalisation est appelée à agir sur notre vie quotidienne.
Comment les recommandations en ligne sont-elles créées aujourd’hui ?
Amazon et les autres sites du genre utilisent surtout les historiques d’achat pour recommander un autre achat à leurs visiteurs. Ça marche, puisque les ventes ont augmenté de 35% chez Amazon depuis l’introduction de ce système. L’enjeu, aujourd’hui, c’est donc de savoir explorer et exploiter les traces laissées par les internautes. Ils passent un temps fou à annoter, commenter et noter ce qu’ils aiment ou n’aiment pas, notamment sur Facebook. Ces données-là sont publiques, mais elles restent sous-exploitées.
Ça fait beaucoup de texte…
Oui, et son analyse, qu'on appelle l' opinion mining , est très difficile à faire. On y arrive sur des textes longs, mais pas sur un commentaire court qui serait publié, par exemple, sur Twitter. Or Twitter est un champ très important, il s'y dit beaucoup de choses. Aujourd'hui, les algorithmes savent dire si un commentaire de douze lettres est positif ou négatif, mais c'est tout. Par contre, on sait prédire à 70% la note donnée par un internaute à un livre ou un film à partir de son texte critique si celui-ci est assez conséquent.
Actuellement, la recommandation n’a-t-elle pas surtout pour effet de conforter l’internaute dans ce qu’il connaît déjà ?
En grande partie parce qu’on juge qu’une recommandation a été pertinente s’il y a eu un achat. L’enjeu, c’est donc plutôt de savoir proposer à l’internaute quelque chose de surprenant, afin de mettre en valeur des contenus peu connus. Qu’il se dise : «Pourquoi pas ?»
Il est vrai que ce sont toujours les mêmes adresses, les mêmes disques ou les mêmes livres qui remontent dans les recommandations.
Parce que ce sont les plus consommés. Mais recommander la nouveauté, c’est très difficile, justement parce que c’est nouveau ! On n’a pas de données sur la façon dont un nouveau produit ou un nouveau lieu va être perçu, parce qu’il n’a pas d’historique au sein de la communauté des internautes.
Quelle sera la place des «données sociales», celles de Facebook ou d’autres réseaux sociaux, dans ce nouveau monde de recommandations ?
Les chercheurs travaillent déjà aujourd’hui sur les profils, sur le principe du «qui se ressemble s’assemble». Dans la vie courante, la recommandation se fait d’ami à ami, dans le cercle proche. C’est un mode de fonctionnement qui se reproduit en ligne. Sauf que, parfois, les communautés qui se créent ne pourraient pas exister dans la «vraie» vie parce que leurs membres sont trop dispersés. On a des groupes de fans de films de zombies, par exemple, qui ont un savoir très précis. On essaie donc d’analyser ce dont ils parlent, en bien ou en mal, pour générer des recommandations pertinentes pour tous les internautes sur ce genre de contenu dit «non populaire».
Faut-il souhaiter pour autant que toutes les données, de géolocalisation ou de consommation, soient accessibles, même anonymisées ?
C’est très délicat. Même si ces données sont anonymes, on a montré qu’on arrive à dresser un portrait précis de quelqu’un à partir de ses traces en ligne, en recoupant les informations. En France, il n’est pas envisageable à l’heure actuelle de livrer ces données, qui sont privées.
Paru dans Libération du 4 mai 2012