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L’iPhone sans mobile apparent

Le téléphone portable made in Apple est beau et cher. Révolutionnaire en termes d’écran tactile, de navigation et de design, il reste techniquement limité pour les puristes de la téléphonie mobile.
par Catherine Maussion et Christophe Alix
publié le 29 juin 2007 à 11h49
(mis à jour le 29 juin 2007 à 14h11)

Apple est une formidable machine marketing, une firme capable, dit-on, de fabriquer une rumeur par jour… Quand Steve Jobs a dévoilé son iPhone en janvier, il a créé l'événement. Orbi, mais aussi Urbi. Ses équipes, sises à Cupertino, en Californie, l'ont découvert en même temps que tout le monde… Et moins Steve Jobs en dit, plus on en cause: quelque 13000 articles publiés sur Internet en juin, alors que le produit ne sort que ce soir aux Etats-Unis. Alors que les sociétés high-tech ont de plus en plus de mal à se projeter dans l'avenir, Apple a cette faculté-là: «C'est une des rares sociétés , explique Gérard Moulin, gérant de fonds à la banque Delubac, à disposer du pricing power, le pouvoir de s'abstraire de la concurrence et de dicter son prix.» Trois ingrédients sont à la base de la recette d'Apple: le marketing, le design et l'innovation. En 2009, Apple devrait faire son chiffre d'affaires sur trois produits: le Mac, l'iPod et l'iPhone. Deux d'entre eux auront, si la prophétie se réalise, moins de six ans d'existence. Apple est en pleine forme. Son cours de Bourse a doublé dans les dix derniers mois. Mais ni les équipementiers ni les opérateurs n'ont dit leur dernier mot. Chez Nokia, leader mondial du mobile et concurrent direct de l'iPhone, on explique que l'ère du MC (multimedia computer)est arrivée. «On ne vend plus des mobiles , explique Laurent David, directeur multimédia chez Nokia, mais des ordinateurs multimédias mobiles.» Un créneau que Nokia a l'intention de solidement occuper. Sur les 350 millions de mobiles Nokia écoulés dans le monde en 2006, 77 millions sont des téléphones baladeurs capables comme l'iPhone de diffuser de la musique. Le finlandais a une bonne longueur d'avance...

Le marché

Apple est modeste. Il ne vise que 1% du marché du mobile, et ne pense écouler que 10 millions d'iPhones d'ici à la fin de 2008. Le marché du mobile, lui, tourne autour du milliard d'unités écoulées en 2006. L'iPhone est cher: le petit modèle (4Go de mémoire) sera vendu 499 dollars (370euros) aux Etats-Unis, le grand modèle (8Go) 599 dollars (445 euros). Apple n'a pas pour habitude de brader ses produits. Ce qui intéresse Steve Jobs ce sont les marges, explique un gérant de fonds. De l'avis des analystes, l'iPhone ne va pas bousculer le jeu. Le mobile d'Apple peut être classé parmi les smartphones, un marché qui pesait à peine 250000 unités écoulées en France en 2006 (contre 20 millions de mobiles), mais qui devrait passer à 400000 unités en 2007, selon Marc Chemouil, de GfK. On peut aussi rattacher l'iPhone à la famille des téléphones baladeurs. «65% des gens qui possèdent un téléphone lecteur de MP3 rêvent de l'utiliser comme leur baladeur quotidien» , souligne Nokia, auteur d'une enquête menée auprès de 77000 personnes sur tous les continents. Ce qui fait dire à Laurent David, directeur multimédia de Nokia pour le Benelux et la France: «Apple, en lançant son iPhone, est sur le mode défensif. Il n'avait pas vraiment le choix.»

Le réseau

Pour son lancement aux Etats-Unis, Apple a fait alliance avec AT & T (autrefois baptisé Cingular). Une relation exclusive. Avec l'opérateur américain, le partage est clair. AT & T se contente de transporter la voix et les données (mail, photos, vidéos…). Il ne fait aucune ombre à Apple et à son site payant de téléchargement de musique, l'iTunes Music Store. Apple a indiqué qu'il sélectionnerait de même un opérateur de dimension européenne le jour où il débarquera —on évoque la fin 2007— sur le Vieux Continent. La négociation s'annonce rude. En Europe, les opérateurs sont des concurrents directs d'iPhone. SFR, la filiale du géant européen Vodafone, est le deuxième vendeur de musique en France, tandis qu'Orange propose des contenus sonores ou vidéo consacrés à la musique, au cinéma, au sport. Il y a déjà des discussions, mais un analyste s'interroge: «Je ne sais pas si les opérateurs vont trouver un quelconque intérêt à booster sa diffusion.» Il y a deux façons pour Apple de distribuer son produit. Soit il se contente de mettre son iPhone en vente libre, soit il joue le volume et se fiance avec un opérateur de téléphonie mobile. Dans ce cas, il y aura forcément une personnalisation du produit au profit de l'opérateur. «Est-ce qu'Apple a vraiment envie d'avoir ce type de collaboration?» s'interroge-t-on au cabinet Ovum.

Internet

C'est Walter Mossberg, le redouté «testeur» high-tech du Wall Street Journal, qui le dit: avec son large écran, l'iPhone fait un «grand pas en avant» en matière de surf sur le Web. Doté du navigateur Safari et de l'OSX d'Apple, l'engin multimédia bascule automatiquement son affichage en mode portrait (vertical) ou paysage (horizontal) grâce à un capteur de gravité intégré à l'appareil. Convivial pour surfer, l'iPhone ne bénéficie cependant pas du nec plus ultra en matière de haut débit mobile. Peu importe, réplique Steve Jobs qui promet une connexion d'enfer via les bornes d'accès wi-fi. A la différence de la plupart des produits concurrents, l'iPhone a fait l'impasse sur certaines fonctions: pas de messagerie instantanée du type Messenger, très prisée des plus jeunes, pas d'affichage des sites utilisant Flash, pourtant nombreux, et pas non plus de possibilité d'utiliser un système de messagerie de type push mail comme le BlackBerry, qui permet de voir tomber les messages en temps réel à l'écran.

L'écran

Déjà très en vogue, les écrans tactiles franchissent une nouvelle étape avec l'iPhone, qui supprime le stylet et combine deux technologies. Un procédé «capacitif» d'une part, très précis au toucher, dans lequel un courant électrique quadrille l'écran. La pression d'un doigt interrompt le courant, ce qui provoque la détection. Apple y ajoute le principe du Multi-Touch, dont il détient le brevet, qui permet d'effectuer simultanément plusieurs pressions pour mener différentes actions: le recadrage d'une photo, le zoom sur une page Internet, etc. L'écran de l'iPhone, 100 % virtuel, ne devrait pas poser de problèmes pour la navigation générale. Il faudra s'habituer en revanche à la rédaction de messages. Textos et mails se tapent exclusivement au doigt. Et selon Victor Jachimowicz, le patron du laboratoire d'essais de la Fnac, qui a eu l'occasion de tripoter la bête, c'est loin d'être évident. «J'ai essayé comme tout le monde de taper un petit bout de texte, mais cela n'a pas bien marché.» A vos doigts, prêts, effleurez…

Musique et vidéo

«C'est l'iPod ultime» , dit Steve Jobs de l'iPhone. Conçu pour écouter de la musique et regarder des vidéos autant que pour téléphoner, cet ordinateur de poche nécessite pour être activé d'ouvrir un compte sur iTunes Music Store. Manière pour Apple d'établir un lien direct avec l'abonné mobile et de reprendre le contrôle et la facturation de certains contenus —musique et vidéo— à la place des opérateurs. Une situation guère gênante outre-Atlantique, où AT & T n'opère pas de service musical, mais plus compliqué en Europe où certains opérateurs possèdent leur service de téléchargement. Pour autant, l'iPhone ne permet pas d'acheter directement un morceau ou une vidéo via le téléphone, et le transfert de ces fichiers passe uniquement par le logiciel iTunes. L'appareil n'est d'ailleurs pas le premier mobile à interagir avec iTunes puisque le Motorola Rokr E1, première incursion —ratée— d'Apple dans la téléphonie, le permettait déjà. C'est par contre le premier mobile à pouvoir lire des vidéos achetées sur l'iTunes Store. Mais, comble pour un «iPod qui téléphone», on ne

peut pas utiliser une chanson comme sonnerie.

Les plus, les moins

Personne ne l’a vraiment testé, mais de la part de ceux qui l’ont eu en mains, les superlatifs pleuvent: «révolutionnaire», «simple, élégant», ou encore «smartphone le plus abouti». Ces épithètes flatteuses concernent le design, l’écran et la navigation. Pour le reste, certains pointent des lacunes. L’iPhone ne sait pas accrocher pour l’instant les réseaux mobiles haut débit. Il ne parle que l’Edge (de l’ordre de 300kbps), mais pas la 3G et encore moins le HSDPA (la version boostée de la 3G). Autre faiblesse, sa capacité mémoire. Contrairement aux mobiles qui revendiquent la fonction de baladeur, il n’est pas possible d’insérer dans l’iPhone la moindre carte mémoire, indispensable pour jongler avec son petit stock personnel de sons ou de vidéos. Dommage, à l’heure où SanDisk et Toshiba s’apprêtent à commercialiser des cartes minuscules (micro SD), de la taille d’un ongle, avec 4Go (et bientôt 6Go et même 8Go) de capacité mémoire. Autre faiblesse, l’appareil photo de l’iPhone est limité à 2 millions de pixels, alors qu’on trouve couramment des mobiles équipés de capteurs de 3 millions de pixels à des prix abordables. Le N 95 de chez Nokia atteint même 5 millions de pixels. Les esprits chagrins s’interrogent aussi sur son incapacité à échanger des MMS ou à capter des vidéos. D’autres s’interrogent sur la durée de vie de la batterie, non amovible. Et il n’est pas équipé pour l’heure de la fonction GPS. Mais la version européenne pourrait apporter quelques bonnes surprises.

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