L’industrie musicale se berce au streaming

par Christophe Alix
publié le 25 janvier 2011 à 11h30
(mis à jour le 26 janvier 2011 à 12h30)

Chaque année, c'est la même sempiternelle question qui revient lors de l'ouverture du Marché international du disque et de l'édition musicale (Midem), la grand-messe du secteur à Cannes : la crise de l'autrefois prospère «industrie musicale» (environ 2 000 personnes en France aujourd'hui) est-elle enfin achevée ? Et chaque année, c'est la même réponse négative qui revient. Malgré Hadopi, l'introuvable carte musique -- pourtant destinée à faire mieux connaître aux 12-25 ans les offres légales en ligne -- et les progrès bien réels du numérique, le «marché», comme on dit, a continué de baisser en 2010 dans l'Hexagone : -6%, a confirmé hier le Syndicat national de l'édition phonographique (Snep). «C'est un peu décevant , reconnaît son directeur général, David El Sayegh, la fin d'année n'a pas été bonne et la fameuse transition numérique n'est pas encore terminée, c'est un fait. En revanche, le point positif, on en est maintenant certain, c'est qu'Internet est bien le relais de croissance qui peut permettre aux ventes de rebondir.» Pas de panique, la lumière, même vacillante, est au bout du tunnel.

Alors que le marché mondial du numérique, tiré par les États-Unis, montre des signes d’essoufflement -- selon l’association mondiale des producteurs de musique IFPI, il représente 29% des recettes globales du secteur mais ne progresse que de 6% en valeur en 2010, la plus faible hausse depuis dix ans --, les ventes dématérialisées continuent de grimper à un rythme soutenu en France. Quasi nulle en 2009, leur croissance y aura été de 14% l’an dernier.

Archidominés par Apple et son iTunes Music Store, les téléchargements de titres sont en hausse de 28%, mais c’est surtout le streaming par abonnement, avec 60% de progression, à 14,5 millions d’euros, qui se développe de manière impressionnante. Au total, le numérique aura représenté 16% des 555 millions d’euros de chiffre d’affaires de la musique enregistrée en 2010 en France (contre 1,3 milliard il y a dix ans), soit 88 millions d’euros.

«La progression du streaming en France est spectaculaire , analyse David El Sayegh, et c'est largement lié au succès rencontré par de nouvelles offres mobiles innovantes qui seront au cœur de la musique numérique demain. C'est la différence avec les États-Unis, où le déploiement sur mobile est bien plus difficile et chaotique, avec pour résultat une stagnation du marché.»

À lui seul, le rapprochement entre Deezer et l’opérateur de télécommunications Orange, au printemps dernier, explique une grande partie de l’envol de ces offres d’abonnements. A ce jour, leur formule commune à 10 euros par mois compte plus de 450 000 abonnés.

Un succès qui pourrait être imité par d'autres. Le microcosme «telco-musical» s'agite autour d'une annonce imminente de partenariat entre SFR et le nordique Spotify ( lire l'interview ), dont l'offre conjointe avec l'opérateur de télécommunications Telia, en Suède, a elle aussi rencontré un immense succès. Bien qu'encore minoritaires dans l'activité des sites de streaming comme Deezer et Spotify, ces formules payantes ont bien évidemment la préférence des ayants droit. Thierry Chassagne, le président de Warner Music France, en a récemment fait la démonstration. Selon ses chiffres, 800 000 écoutes d'un titre sur Deezer ne généraient que 160 euros de recettes pour le producteur.

Autrement dit, un abonné Deezer rapporte 7 euros par mois à l'industrie musicale alors qu'un utilisateur écoutant des titres gratuitement seulement 1,5 euro par an ! Selon le Snep, le rapport entre écoute gratuite et payante en streaming peut représenter un écart de 1 à 10 dans la rémunération des ayants droit. «Un modèle financé à 100% par la publicité n'a pas de viabilité économique , juge Denis Ladegaillerie, président du distributeur numérique Believe et depuis peu du Snep. Cela peut à la rigueur constituer un complément, mais pas plus.»

Présents sur les ordinateurs et les mobiles, ces services d'abonnement, dont la profondeur de catalogue atteindra rapidement une dimension quasi exhaustive, sont également en train de se déployer sur les chaînes hi-fi, demain dans les voitures, etc. «Il devient possible d'offrir à l'utilisateur un accès à la musique quand et où il veut sous n'importe quelle forme» , note la directrice du Midem, Dominique Leguern. Les nouveaux lecteurs musicaux en réseau, comme Sonos ou Logitech Squeezebox, ont déjà passé des accords avec Deezer et Spotify afin de pouvoir diffuser leurs titres sans fil dans l'ensemble des pièces d'un appartement. Une vogue de synchronisation généralisée dont il sera beaucoup question cette année au Midem, tout comme celle des échanges musicaux via les réseaux sociaux.

«La musique est, par excellence, le bien que l'on partage, et c'est la raison pour laquelle nos utilisateurs peuvent partager leurs play-listes avec celles de leurs amis via Facebook , explique Annina Svensson, de Spotify France, on a l'habitude de dire chez nous que l'URL de l'adresse web sera le MP3 du futur.» En mode payant ou gratuit ?

Paru dans Libération du 24 janvier 2011

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus