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Libération

«Ainsi soient-ils» : L’ordre et l’amoral

par Tania Kahn
publié le 11 octobre 2012 à 18h11
(mis à jour le 11 octobre 2012 à 18h12)

Ils flirtent, fument et s'enivrent. Ce sont des jeunes gens de leur époque. Il y a Yann, le scout breton couvé par ses parents, un peu naïf ; Emmanuel, l'homosexuel inavoué ; Guillaume, le fils responsable d'une mère trop légère et insouciante ; Raphaël, un bel héritier désabusé, et, à l'opposé de tous , José, gueule cassée, tatoué, enfant des foyers et des prisons. Cinq héros ordinaires, un brin stéréotypés. Mais apprentis curés. C'est Ainsi soient-ils , la nouvelle série siglée Arte, qui s'immisce dans les arcanes d'un séminaire, lieu de tous les interdits, où cinq candidats à la prêtrise n'ont de cesse d'éprouver leur engagement. Pour David Elkaïm, le coscénariste, «il ne s'agit pas de montrer des héros, mais de représenter des hommes, avec leurs désirs, leurs pulsions. Ils nous représentent tous, sauf que le séminaire maximise leurs contradictions» .

La série s'est déjà récemment essayée à des univers confinés comme la politique ( les Hommes de l'ombre ) ou la prostitution ( Maison close ), mais jamais n'a-t-on osé pareille incursion chez les curetons. Voilà un concept qui fleure bon le blasphème et le sacrilège. On s'attend à des tabous brisés, à des histoires de cœur et de corps : dès les premiers épisodes, les personnages libèrent leur saveur, le passé s'entremêle au présent et le vœu de chasteté est malmené. «La sexualité des prêtres est bien plus importante qu'on ne l'imagine» , lance David Elkaim. «Cette fiction est a minima du niveau de la réalité» , indique le producteur Bruno Nahon, à qui l'on doit le documentaire politique l'Enfer de Matignon . «On a raconté le réel avec les outils de la fiction, sans intention de provoquer ni de blasphémer. D'ailleurs, toutes les portes ne sont pas enfoncées : les prêtres intégristes, la pédophilie…» ajoute Rodolphe Tissot, réalisateur et directeur artistique de la série.

Cette première saison d' Ainsi soient-ils -- la seconde, est déjà en cours d'écriture -, embrasse aussi les conflits de pouvoir et d'ego au sein d'une Église comploteuse et pyramidale, arbitrée par le Vatican, fastueux. On y découvre riches boiseries, porcelaines délicates et soutanes ouvragées des dignitaires de Dieu, dont l'amour de Jésus n'évite pas la détestation de leurs pairs. Bien plus que les scènes de coucherie, explique Rodolphe Tissot, «cette représentation du pouvoir a particulièrement choqué la presse catholique ; il y a bien sûr une critique du pouvoir, mais cela fait partie du genre, du romanesque. Les personnages d'Alexandre Dumas sont eux aussi toujours en train de comploter.»

L'institution, à l'image de ses héros, est partagée entre tradition et modernité. Une dualité incarnée à l'écran par le père Fromanger (Jean-Luc Bideau), un prélat converti aux idées progressistes, et monseigneur Roman (Michel Duchaussoy), rigide serviteur d'une Eglise conservatrice et immuable. Ce dernier est toujours présenté en costume d'apparat, symbole de son traditionalisme, tandis que les enseignants du séminaire ne portent même pas le col romain. «Cela raconte quelque chose sur les personnages, leurs idées» , détaille Rodolphe Tissot.

Soucieux de coller au plus près au réel, réalisateur et scénaristes se sont fait aider de représentants du Vatican, de l'Eglise de France et de deux séminaristes. Tous ont préféré garder l'anonymat… «Ils nous conseillaient sur une multitude de détails , explique Tissot, la manière dont se saluent deux ecclésiastiques, la couleur des aubes, le déroulement d'une homélie.» Les scènes d'intérieur ont été tournées dans un ancien cloître de La Rochelle. «On a essuyé de nombreux refus, des prêtres acceptaient de nous ouvrir les portes de leur église mais se heurtaient au désaccord de leur diocèse, précise le réalisateur. On a fini par trouver : l'Eglise de France est diverse et variée, à l'image de ce que montre la série.»

Ainsi soient-ils réussit la délicate alchimie d'une série moderne sur la foi. Les mises en situation parfois clichés (l'avortement, la drogue, le concert de rock, la solitude à Noël) ne nous sont pas épargnées. Et la sobriété (et l'élégance) des images n'évite certes pas l'abondance de sermons, versets bibliques et déclarations empreintes de bons sentiments, un rien déconcertant pour les plus athées, mais , c'est ainsi qu'ils sont.

Paru dans Libération du 11 octobre 2012

Ainsi soient-ils de David Elkaïm, Bruno Nahon, Vincent Poymiro et Rodolphe Tissot

_ Episodes 1 et 2/8, Arte, ce soir à 20 h 50.

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