La CIA et Google financent un mouchard du Net

par Alexandre Hervaud
publié le 30 juillet 2010 à 12h27
(mis à jour le 30 juillet 2010 à 12h34)

R ecorded Future est une entreprise américaine basée à Boston dont les activités, sans être foncièrement surprenantes, ne manqueront pas d'inspirer la méfiance aux internautes, surtout quand on sait, grâce un article de Wired , que la CIA et Google ont tous deux investi dans la société.

Son rayon d'activité est le suivant : avec son autoproclamé «premier Moteur Temporel d'Analyses au monde» (ça passe mieux en VO avec Temporal Analytics Engine), Recorded Future passe le web au peigne fin, «scannant en continu des milliers d'articles de presse, de blogs, de sites peu connus, de publications professionnelles, de sites gouvernementaux, de bases de données financières, et plus encore» . Dans le «plus encore» , on peut par exemple inclure les comptes Twitter (seulement les comptes publics, a priori), comme ce schéma proposé sur son site le présente :

DR

En version animée et avec une voix robotique pas des masses rassurante, voilà comment l'entreprise se présente via YouTube :

Après le scan des sites, le site se lance ensuite dans l'extraction et l'organisation des informations en les classant par des mots-clés de manière chronologique. Résultat : «vous pouvez explorer le passé, le présent et le futur prévu d'à peu près tout. Des outils puissants de visualisation vous permettent d'extraire des patterns (modèles) temporels, et de voir apparaître des réseaux d'informations liées» , dixit le site en des termes qui rappeleront peut-être à certains de récentes séries B paranoïaques style Ennemi d'Etat ou L'œil du mal . Surtout quand on lit les passages mentionnant ce type de recherches cette fois-ci liées à des personnes, et non des thèmes d'actualité. L'entreprise ne se cache pas de pouvoir prévoir vos futures destinations de voyage, tout comme vos opinions politiques, situation familiale, etc.

La vidéo de démonstration suivante, uploadée en mars dernier, tombe assez bien en cette actu chargée sur l'Afghanistan ( merci WikiLeaks ), et permet de comprendre l'intérêt d'une agence de renseignement comme la CIA face aux activités de Recorded Future. Notez au passage le type d'illustration musicale choisie qui se passe de commentaire :

En terme de modèle économique, l'entreprise mise sur le modèle freemium , avec une option gratuite («Futures») qui permet de recevoir des alertes spécifiques par email, et une version Premium à 149 dollars par mois (115 euros). Les fameux outils de visualisation vantés plus tôt ne sont évidemment accessibles qu'avec cette deuxième et coûteuse option.

Si Google a déjà eu diverses occasions de collaborer avec des institutions américaines opérant dans l'espionnage, c'est, d'après Wired , la première fois qu'elle finance une startup de concert avec la CIA.

«Personne n'accuse Google de collaborer directement avec la CIA» , précise le journaliste Noah Shachtman, spécialiste des questions de sécurité nationale pour le magazine, «mais ces investissements vont forcément nourrir des critiques contre Google, déjà nombreuses à trouver le géant du web un peu trop proche du gouvernement américain» . Référence à la proximité d'Eric Schmidt, PDG de Google, et la Maison Blanche, ainsi qu'au jeu de chaises musicales entre le personnel de l'entreprise et l'administration Obama .

Google Ventures, chargé de soutenir divers projets innovants, et In-Q-Tel , la firme investissant au nom des organisations du renseignement américain, ont donc tout deux participé au financement de Recorded Future. Leurs montants respectifs ne sont pas connus, mais décrits comme inférieurs à 10 millions de dollars chacun. Google l'avait signalé il y a plusieurs mois, tandis que In-Q-Tel l'a discrètement annoncé récemment . Avec pareil conseil d'administration et un tel domaine d'activité, Recorded Future, qui édite par ailleurs le blog Analysis Intelligence , devrait atterrir dans le collimateur des anti-flicage sur le web et motiver de nouvelles campagnes de sensibilisation sur le traitement des données personnelles.

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