La Chine se toque de copyright

par Sophian Fanen
publié le 14 juin 2012 à 10h46

Une foule de badauds et policiers en uniforme regarde un énorme bulldozer broyer un épais tapis de CD et de DVD pirates. Voilà l'image médiatique de la Chine luttant contre la contrefaçon d'œuvres culturelles. Sur Internet, la manœuvre est à peu près aussi délicate : sous la pression nationale et internationale, Pékin a fini par imposer, depuis 2008, à Yahoo China ou à Baidu -- principal moteur de recherche du pays -- de bloquer des liens pointant vers du contenu jugé illégal… et parfois de payer les artistes .

Une action qui ne va pas assez loin pour les grosses multinationales du loisir, du type Disney ou Universal, fatiguées de voir leurs œuvres circuler sans contrôle et (surtout) sans pouvoir tirer profit du gigantesque et alléchant marché chinois. Depuis l'adhésion de Pékin, en 2001, à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les pays occidentaux insistent pour que la Chine s'aligne sur les normes internationales de copyright - le système anglo-saxon proche de notre droit d'auteur -, afin de pouvoir y défendre leurs intérêts en justice. C'est l'objectif de la troisième révision de la loi chinoise sur le sujet, datée de juin 1991 seulement, qui doit s'achever à l'automne. « Il s'agit aussi de permettre l'émergence d'un vrai marché chinois de la culture qui intégrerait les défis provoqués par la technologie numérique et Internet, explique à Libération KT Ang, responsable de la zone Asie-Pacifique pour la Confédération internationale des sociétés d'auteurs (Cisac). Puis, dans une moindre mesure, de faciliter l'exportation des œuvres chinoises.»

Comme tout en Chine, le défi est incommensurable. Le marché de la musique, par exemple, est «estimé entre 100 et 150 millions de dollars par an [entre 80 et 120 millions d'euros, ndlr], ce qui est bien entendu très en dessous de son potentiel, continue KT Ang. On ne peut même pas dire qu'il y ait un marché constitué, et Internet n'a fait que développer les échanges illégaux.»

Le décalage est le même pour le cinéma. En 2011, selon les chiffres disponibles, les entrées en salle et les ventes de DVD officiels auraient généré 17,25 milliards de yuans de chiffre d’affaires, soit 2,2 milliards d’euros… Contre plus de 10 milliards de dollars (8 milliards d’euros) pour les seules entrées en salle aux Etats-Unis.

Ce sont les échanges en ligne qui, là aussi, sont les premiers visés pour expliquer cette impasse. «A cause du vol de contenu, il y a une énorme perte de revenu pour les films chinois, ce qui a empêché la Chine de développer une chaîne de valeurs de l'industrie cinématographique», détaillait Mike Ellis, président de la Motion Picture Association of America pour l'Asie-Pacifique, lors d'une conférence tenue à Pékin mi-avril. «Si vous ne protégez pas ce que vous possédez, vous ne possédez rien», résumait-il encore, afin d'encourager l'industrie chinoise à adopter la pensée mondialisée dans le domaine du copyright.

Sauf que tout est beaucoup plus compliqué que cela. Pour commencer, la notion chinoise du droit d'auteur mêle les héritages du communisme, du marché noir et de la libéralisation. Voter un paquet législatif ne changera en conséquence que peu de choses sans un nouveau durcissement de la surveillance d'Internet, à laquelle les observateurs s'attendent. «Les solutions seront sûrement techniques, avance diplomatiquement KT Ang. Le pays contrôle déjà l'accès des citoyens à Internet et cette censure peut être appliquée à la surveillance généralisée du contenu sous copyright.» D'autant que la course aux DVD et disques pirates à travers tous les villages de la Chine «demande des moyens dingues» … Mieux vaut se concentrer sur un Internet déjà sous surveillance.

La nouvelle loi sur le copyright aura aussi pour mission de mettre de l’ordre dans la judiciarisation galopante du monde de la culture en Chine. Ainsi, partout dans le pays, certains ont trouvé un juteux business : signer des contrats avec des artistes souvent un peu perdus en ce qui concerne leurs droits, avant d’attaquer toute diffusion illégale de leurs œuvres en ligne et d’encaisser une bonne partie des dommages alloués par la justice. En 2011, les seuls tribunaux municipaux de Pékin ont ainsi traité quelque 6 000 plaintes pour violation du copyright, dont 80% visaient des échanges en ligne. Le futur cadre légal chinois compte en finir avec ce système louche en donnant plus de moyens aux sociétés civiles chargées de défendre les intérêts des artistes. Sur lesquelles l’Etat menace de mettre la main, puisqu’il n’y a pas de petit profit.

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