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«La Ferme Célébrités en Afrique», la foire aux clichés

L'émission de télé-réalité de TF1, débutée vendredi, enchaîne les poncifs sur l'Afrique. Décryptage.
par Sylvain Mouillard
publié le 3 février 2010 à 17h16

Il y a eu le «Y'a bon Banania» ou encore le «temps béni des colonies» de Sardou. Depuis vendredi, TF1 diffuse l'émission de télé-réalité La Ferme Célébrités en Afrique . Un programme qui «s'inscrit dans le droit fil des clichés coloniaux les plus consternants» , selon Pap Ndiaye, chercheur à l'EHESS et auteur de La condition noire (Calmann-Lévy, 2008).

Le décor

Après la «Ferme Célébrités» de Vizan (Vaucluse), qui avait couronné Pascal Olmeta puis Jordy en 2004 et 2005, TF1 part cette année à la découverte de «l'Afrique». Continent de près de 30 millions de kilomètres carré et 53 pays, mais néanmoins régulièrement réduit dans le programme à cet «ensemble indifférencié» , note Pap Ndiaye.

La doublette Jean-Pierre Foucault-Benjamin Castaldi rappelle parfois, depuis Paris, que l'émission a lieu en l'Afrique du Sud, dans la réserve de Zulu Nyala, située entre «Johannesbourg et Durban» (566 km tout de même). Au cœur des 1800 hectares de la réserve, une vaste bâtisse au toit de chaume, qui accueillera «seize célébrités» au cours des dix prochaines semaines.

Pour Pap Ndiaye, l'émission véhicule un premier cliché, «l'exotisme amusant» . «Le continent africain est présenté comme un terrain de jeu exotique. L'un des présentateurs demande benoîtement: "Qu'y a-t-il de mal à partir en Afrique pour voir des animaux et rigoler un peu. ( Métro, le 29 janvier 2010 )"» .

Le casting de TF1

Le premier prime-time, vendredi, a réservé son lot de grosses ficelles: à Zulu Nyala, les «stars» sont accueillies par une haie de danseurs en pagnes, sagaies à la main, au son du tam tam. L'unité musicale est respectée à Paris, avec les mêmes intermèdes endiablés. Jean-Pierre Foucault, soucieux du détail, possède un calepin «léopard». La quotidienne (18h15) ne déroge pas à la couleur locale : peau de zèbre au sol, images de la savane sud-africaine en fond d'écran, «Benji» se charge de l'animation.

Des «stéréotypes» qui montrent «le continent en dehors de la civilisation, selon Pap Ndiaye. Pour faire couleur locale, les "célébrités" sont accueillies à l'entrée de la ferme par des "Africains typiques" (...). Pour le reste, il n'est pas encore question des habitants de la région, déserte et "sauvage". La ferme est présentée comme un lieu de civilisation au milieu de nulle part.»

Les dialogues

Benjamin Castaldi sait synthétiser «les dangers de la brousse» : «Il y a beaucoup d'animaux: ça pique, ça gratte, ça chatouille et parfois ça mord.» C'est l'autre versant de l'imagerie traditionnelle de l'Afrique : d'un côté l'exotisme, de l'autre le danger.

Ce sont «des stéréotypes classiquement binaires développés pendant la période coloniale : une Afrique bucolique, de beaux paysages, des indigènes joyeux, et en parallèle une Afrique des ténèbres, un exotisme dangereux , note Pap Ndiaye. On insiste lourdement sur l'inconfort et un vague danger: la chaleur, les odeurs. Ce thème revient constamment dans la bouche des animateurs et des participants : l'Afrique pue. Les animaux "qui piquent" et les maladies. Bref, l'Afrique est présentée comme dangereuse, hostile, primitive. On peut "rigoler" mais attention aux bestioles...» Arrêt sur images compile quelques répliques : «Figurez-vous que nous avons l'électricité ici à Zulu Nyala» ; «mais ce que vous n'avez pas, c'est l'odeur» ; «ça n'a pas l'air si terrible» ; «c'est sommaire» .

L'émission est-elle raciste ?

Non, répond Pap Ndiaye. «Je ne parlerais pas de "stéréotypes racistes" – on n'a pas encore entendu de propos qu'on pourrait qualifier ainsi – mais de stéréotypes dévalorisants d'une Afrique fantasmée(...), un continent sans histoire où l'ordre naturel règne.»

Angela Lorente, directrice de la télé-réalité sur TF1, explique avoir voulu, «par ces temps pas évidents» , proposer du «divertissement» et du «dépaysement» . Et d'assurer que cela «permet aussi d'en apprendre sur le genre humain» . Loin d'être convaincu, Pap Ndiaye rétorque que «les émissions de télé réalité peuvent évoquer le second degré pour se donner bonne conscience. Mais cela imprègne les mentalités» . Et avance qu'on «n'apprend rien de ce huis clos entre Européens, où l'Afrique n'est qu'un décor» .

L'hebdomadaire Jeune Afrique a fustigé une «litanie de clichés éculés» . Pap Ndiaye, lui, souligne que ces clichés coloniaux sont «classiques en Europe. On se souvient notamment du discours de Sarkozy à Dakar où il parlait d'une "Afrique enchantée"» . Et de rappeler qu'en matière de stéréotypes, La Ferme Célébrités est une récidiviste: «Lors des premières éditions, certains paysans s'étaient déjà mobilisés contre le côté dévalorisant de leur profession, véhiculé par l'émission» .

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