La Pequeña, étoile naine

par Bruno Icher
publié le 8 août 2011 à 15h13

[Phénomènes du Web 1/6] . Cette star de la Toile singe des femmes célèbres.

Bien avant l’apparition épiphanique de la télé-réalité dans le monde occidental, la télévision aimait les monstres. Depuis, c’est une obsession. Toutes sortes de monstres, visages généralement floutés, qui viennent expliquer face à la caméra la nature de leur difformité, maladie, obsession, phobie ou névrose mais en tout cas de leur souffrance. A noter que s’ils sont sujets à la zoophilie, leur visage est systématiquement flouté, de même que celui de leur poney.

Dans le monde merveilleux d'Internet, les monstres avancent, eux, toujours à visage découvert. C'est la loi du genre, et plus l'anomalie est massive, plus le caractère exhibitionniste de la performance est spectaculaire. Tout le monde (les autres, prenez cinq minutes pour aller jeter un œil) a vu ce jeune Américain frappé d'une forme de nanisme lui donnant un vague air de personnage de Charles M. Shultz, le créateur de Charlie Brown, chanter en play-back des tubes de rap face à son caméscope. Ça n'a aucun intérêt mais, disent les milliers de commentaires (enfin pas tous), il est trop mignon. Mettons. La renommée de Keenan Cahill, car désormais on connaît son nom, l'a évidemment incité à poursuivre, engendrant un tel succès qu'un beau jour les fanas du petit bonhomme contrefait ont eu la surprise de voir débouler l'authentique 50 Cent dans sa piaule pour chanter son dernier tube. Avec la rigueur intellectuelle qu'on lui connaît, David Guetta s'est empressé de faire pareil mais, bien sûr, ce n'était plus drôle du tout. Et puis la musique de David Guetta…

Dans un genre proche, personne n'a pu oublier (et les retardataires feraient bien de s'y mettre dare-dare) la performance de ce jeune homme légèrement enrobé (en réalité, il est grassouillet comme un moine) qui se trémousse à fond la caisse sur l'air de Single Lady chanté par Beyoncé en reprenant la chorégraphie du clip de la brune incendiaire au millimètre. Dans ces cas-là, tout est fascinant. Les bourrelets du type tressautant avec rythme, la tristesse abyssale du décor de sa chambre recyclée en studio de danse, la pizza qui traîne dans un coin et dont la rigidité cadavérique indique l'urgence avec laquelle il faudrait la conduire à la poubelle. Même les soubresauts du caméscope, sous les coups de boutoir que l'individu assène à son plancher, collent l'œil à l'écran.

Toutefois, un personnage bat tous les records dans le registre du monstre en programme libre. Son nom : la Pequeña. Il s'agit d'un Chilien ou, peut-être d'une Chilienne, difficile à dire, qui s'est mis en tête d'imiter des femmes célèbres. Sa première vidéo était éclatante d'obscénité. Elle (utilisons le féminin pour plus de commodité de lecture) est vaguement déguisée en feu Amy Winehouse et se livre à une danse lascive sur l'air de Rehab. A intervalles irréguliers, elle indique les traits de caractères saillants de la chanteuse : «Soy una viciosa» ou encore «Me encanta la droga» .

Par la suite, la Pequeña s'est investie dans d'autres rôles, tel celui de Hillary Clinton , à plusieurs reprises, dont une fois lorsque la patronne du Département d'Etat américain se transformait en Hulk ( «Porquééé ? Porquééééééé ?» ), mais aussi de Sarah Palin, Ingrid Betancourt ( «Soy libre ! Libre !» ), Britney Spears , Shania Twain , Lady Gaga. Un élément donne une dimension particulière, et même franchement angoissante aux clips de la Pequeña : un homme de taille normale apparaît souvent à l'image, le visage toujours recouvert d'un masque en cuir. Qui est-il ? Un réalisateur vicelard ? Son amant ? Son frère ? Mystère et la Pequeña refuse toute interview avec le même mépris qu'elle dédaigne les conseils. Ainsi, en dépit de nos encouragements frénétiques, toujours pas la moindre trace de la Pequeña en Martine Aubry ou Carla Bruni.

Paru dans Libération le samedi 6 aout.

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus