La RATP, celle-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom

par Camille Gévaudan
publié le 23 juin 2011 à 18h11
(mis à jour le 23 novembre 2011 à 17h23)

On n'avait pas vu de conflit juridique aussi cocasse depuis l'affaire T-Mobile, qui avait fait grand bruit en ligne fin 2007 lorsque des internautes avaient découvert que l'opérateur téléphonique revendiquait la propriété de la couleur Magenta . Ce fut l'occasion de quelques débats très intéressants sur des notions de droit : une couleur n'est-elle pas du domaine public ? Le cas qui agite le net cette semaine paraît un poil moins absurde, mais pas moins capillotracté. Tout a commencé quand la RATP... Oups, on a dit «RATP» -- argh ! On vient de le redire ! Cet article est doublement illégal !

En réalité, tout est parti d'une petite application pour iPhone et smartphones Android. CheckMyMetro, sorti en 2010, qui permet de partager entre utilisateurs du métro parisien (ou d'autres villes) diverses informations sur le trafic, les musiciens jouant dans les couloirs ou encore les contrôles de billet. Au mois de mai, ChekMyMetro a lancé la version 2 de son application. Cette mise à jour a rendu le service plus complet, en ajoutant la possibilité de consulter le plan des lignes et des horaires de passage des rames...

Et là, c'est le drame. Les développeurs de l'application découvrent que la RATP revendique des droits de propriété intellectuelle sur ses horaires et sa carte, ce qui interdit leur utilisation par tout autre logiciel que l'application officielle de la RATP (payante). La régie des transports contacte alors Apple pour demander le retrait de CheckMyMetro sur l'AppStore. Alors que le concepteur de l'application se dit choqué et fait connaître l'histoire sur le web, la RATP en profite pour préciser que «le débat ne revêt aucun enjeu commercial pour la RATP» . Il ne s'agit que de propriété intellectuelle.

On conseille la lecture d' un excellent éclairage sur ces points de droit par Lionel Maurel, alias Calimaq sur Internet : «sur le fond, l'attitude de la RATP soulève un tollé, car elle paraît heurter de front la tendance à l'Open Data et à l'ouverture des données qui se fait jour actuellement en France» . Mais techniquement, «la RATP est bien un EPIC (Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial), et à ce titre, ses données échappent au droit à la réutilisation instaurée par la loi de 1978 au profit des citoyens.»

En revanche, un coup d'œil aux mentions légales du site de la RATP a laissé Calimaq bouche bée. On lit, sur cette page, que non seulement il faut demander la permission avant de publier un lien hypertexte vers le site de la RATP, mais il est également «strictement interdit d'utiliser ou de reproduire le nom « RATP » et/ou son logo, seuls ou associés, à quelque titre que ce soit et sur quelque support que ce soit sans l'accord préalable et écrit de la RATP.» La protection du logo est normale, mais un tel verrouillage du simple sigle R.A.T.P. n'outrepasse-t-il pas le droit des marques français ? Tous les documents du monde comprenant ces quatre lettres écrites dans cette ordre peuvent-il vraiment être accusés de contrefaçon ? Et comment écrire à la RATP pour lui demander ce fameux accord préalable ? Calimaq imagine la drôle de situation : «Cher Monsieur, je vous écris pour vous demander humblement la permission d'écrire le mot que vous savez…»

Et la situation devient alors kafkaïenne sur Twitter, remarque-t-il, puisque la RATP s'y est ouvert un compte pour être à la page. Les usages du site sont en contradiction totale avec les règles juridiques que la RATP entend imposer : peut-on répondre à un tweet de la RATP, puisqu'il comportera alors automatiquement la mention «@GroupeRATP» ? Et peut-on retweeter la RATP, ce qui citera à la fois son nom et l'éventuel lien que le message comprendra ? On attend impatiemment le premier procès pour retweet illégal...

De son côté, le concepteur de CheckMyMetro semble avoir trouvé un arrangement : «la RATP accepte notre proposition d'enlever la carte du métro et l'accès aux horaires et itinéraires du métro en échange du maintien de l'application CheckMyMetro sur l'Appstore.» Mais tout n'est pas perdu : il est possible de remplacer la carte officielle par celle redessinée sous licence libre pour Wikipédia. Quant à l'application, elle a largement profité de cette médiatisation et vient de dépasser sa concurrente officielle en nombre de téléchargements sur l'AppStore...

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