Miyamoto : « La Wii U est un système qui ne dort jamais »

par Olivier Seguret
publié le 19 juillet 2011 à 9h55

A l'occasion du dernier E3, salon mondial des jeux vidéo, Shigeru Miyamoto, charismatique game-designer de Zelda et Mario mais aussi stratège en chef de la maison Nintendo, nous a fait l'honneur d'une interview exclusive autour de sa prochaine console, la Wii U, qui succèdera à la Wii fin 2012. La Wii U se présente avec une manette-tablette très originale, où un écran tactile s'ajoute aux joysticks et gâchettes.

Quels étaient vos principaux objectifs en imaginant la Wii U?

_ Nous avons cherché à imaginer ce qui pouvait rendre les choses plus attirantes et désirables pour les joueurs, et comment nous pouvions les emmener plus loin. On est vraiment parti de cette réflexion, en se posant des questions très concrètes. Un point de départ important était la disponibilité. Comment rendre le jeu disponible tout le temps et instantanément, quel que soit l'usage qui est fait de la télévision. Ne plus attendre un instant et ne pas s'interrompre quand quelqu'un veut regarder un programme télé, glisser de l'écran de la « manette » ( « controller » ) à celui du téléviseur dans un même flux, sans interruption. Évidemment, nous avons avancé en pensant aussi, à chaque pas, à quels nouveaux types de jeu cela pourrait conduire.

Etes-vous le véritable architecte derrière le développement de la Wii U, comme vous l’avez été pour les précédentes consoles Nintendo ?

_ Pour le GameCube et la Wii j’ai vraiment été impliqué profondément et dès l’origine sur la conception de la structure et dans les processus de développement. Pour la Wii U, je dirais qu’elle représente le début d’une transition avec les jeunes générations d’ingénieurs Nintendo, qui ont davantage été impliquées dans l’élaboration du projet. Je suis toujours très présent et engagé moi-même, mais moins directement. C’est comme si j’avais fait un pas de côté : je suivais pas à pas leur travail et leur donnais des conseils.

De quelles spécifications ou applications de la Wii U êtes-vous le plus fier?

_ L’écran dédié de la manette. Parce que c’est la fin de la dépendance à la télé pour une console de salon et que c’est la première fois ! Mais aussi du fait de pouvoir jouer sur les deux écrans, d’interagir à travers toute la pièce, et tous les nouveaux styles de jeu que ça suppose. J’aime l’idée que la Wii U est un système qui ne dort jamais.

Le système proposé par la Wii U induit une nouvelle façon de jouer, très disruptive. Briser les règles faisait partie de votre objectif ?

_ Oui. Si on fait toujours les mêmes machines, on finit par produire des jeux qui se ressemblent tous. Il n’y a pas de système de jeu établi et éternel. C’est à nous de les inventer. L’idée que je me fais de Nintendo implique que cette recherche fait partie de notre travail : concevoir de nouveaux moyens de jouer, donc de nouveaux concepts de jeu et de nouvelles machines.

Pensez-vous que les jeux seront plus difficiles ou complexes à développer?

_ Ce ne sera pas plus difficile. D’une certaine façon, ce sera même plus simple parce que je crois que la machine répond mieux aux aspirations des développeurs, et qu’elle offre plus de liberté créative que les système traditionnels disponibles. Les toutes dernières technologies, les capacités graphiques et les nouvelles possibilités de la Wii U créent un environnement attractif et accueillant pour les game-designers.

La difficulté pour eux sera peut-être plus conceptuelle que technique?

_ C’est une machine qui défie l’imagination et l’esprit créatif. Mais cela signifie plus de fun pour les développeurs. Il y a plusieurs façons pour le joueur de contrôler l’image. C’est peut-être déroutant au départ mais je pense que ce sera très facile à adopter parce que cela rejoint la liberté que demandent les développeurs eux-mêmes. Et cela offre de nouveaux terrains d’expression à leur imagination.

Les plus belles démos disponibles ne montrent pas tout...

_ Humm... Les images que nous avons montré sont là pour planter des graines. Nous souhaitons qu'une première vague de créativité pousse de ces graines, en stimulant l'imagination des développeurs. C'est cela que nous voulons commencer à agiter dans leur esprit. Les petits jeux que vous avez pu tester du type Chase me (sorte de cache-cache virtuel multijoueurs en forme de party game) donnent une première idée des capacités du système avec des exemples concrets, mais nous avançons pas à pas. Chaque chose en son temps.

Plus généralement quelle importance, pour Nintendo et pour vous, une manifestation comme l’E3 représente-t-elle réellement ? En profitez vous pour voir d’autres développeurs, d’autres jeux ?

_ L’E3 est sans doute un événement très nord-américain. Mais c’est aussi le plus important du monde. Il nous permet de présenter les idées sur lesquelles nous travaillons. Pour l’industrie en général, l’E3 crée de l’intérêt médiatique, du « drama », et c’est une bonne chose. Les premières années, j’allais beaucoup fureter sur les stands, je visitais tout ce que je pouvais. Maintenant, c’est plus difficile : trop de travail et de rendez-vous… Mais les membres de mon équipe passent pas mal de temps à explorer, oui. Je les encourage d’ailleurs.

La 3DS a été lancée il y a environ quatre mois. Avec ce premier recul, quel bilan faites vous de sa réception ?

_ Évidemment, on peut considérer que la courbe des ventes pourrait être meilleure, surtout si on la compare à celles de nos précédents hardwares, et nous-mêmes espérions mieux. Mais il faut tenir compte du contexte général de l’industrie pendant cette même période, et de l’essoufflement global des ventes de hardware. Je pense aussi que nous n’avons malheureusement pas été en mesure de présenter dès le lancement une gamme de jeux assez complète. Mais ce n’est déjà plus le cas : les nouvelles fonctionnalités online et toutes une série de jeux très attendus seront là pour l’été. Le contenu que nos joueurs attendent arrive, pas d’inquiétude

Sur quel jeu 3DS avez vous été le plus engagé ?

_ J'ai plutôt sérieusement mis la main à la pâte sur le Luigi's Mansion 2 et le prochain Mario 3DS . Et puis sur la version 3DS de Zelda Ocarina of Time bien sûr, puisque je l'avais développé moi même pour la N64.

Faire passer ce jeu en 3D a représenté un gros travail ?

_ En vérité, pas tellement pour moi. Je me suis plus concentré sur l’amélioration de l’image et des textures, auxquelles on a vraiment réussi à donner une très une belle allure, je trouve.

Nintendo est une compagnie nippone prospère mais la situation est moins rose alentour. Quelle est votre opinion sur la situation de l’industrie du jeu au Japon ?

_ Je pense que notre industrie est trop focalisée sur le marché nippon, et trop dépendante de niches spécifiques à celui-ci. Les développeurs actuels manquent de l’expérience du public mondial, comme si notre énergie et notre talent, dont nous ne manquons pourtant pas, étaient trop concentrés sur nous mêmes. Il est difficile de faire du profit dans ces conditions. Chez Nintendo, en tant que membre de cette communauté, nous réfléchissons actuellement aux moyens d’aider certains de nos partenaires dans l’industrie japonaise, à faire mûrir leurs idées et à les emmener vers des publics plus larges.

Comparée au Japon, un des points forts de l’industrie américaine n’est-il pas l’agressivité de son marketing ?

_ C’est sans doute un facteur. Mais créer quelque chose pour le marché global est aussi une difficulté culturelle pour nous. En fait, je n’aime pas beaucoup moi-même utiliser le terme global. Mais les développeurs japonais ont une trop forte tendance à créer des jeux liés à la culture locale et ponctuelle. Ils regardent ce qui marche autour d’eux et s’y arriment, en créant des jeux dérivés de comics ou d’animés typiquement nippons. Ou encore des jeux spécifiquement liés à des niches du marché local. Moi, je dis qu’il ne s’agit pas de perdre notre originalité, bien sûr, mais que notre caractère unique ne nous empêche pas de développer une créativité pour tous. C’est vraiment ce message qui est le plus important pour moi dans cette affaire.

L’Amérique n’a-t-elle pas un avantage compétitif dès qu’on parle « global » grâce à Hollywood, ses films, sa télé, sa pop culture?

_ Je ne crois pas que ça rende les jeux mieux acceptés globalement. D’ailleurs leurs jeux les plus populaires ne marchent pas très bien… au Japon. C’est le plus difficile : fabriquer des jeux qui parlent au sens commun de tous.

L’avantage de Nintendo c’est vous. Ni Sony ni Microsoft ne peuvent prétendre à une incarnation pareille de leur marque, cette identification entre un homme, presque une star, et une enseigne de jeux. C’est un cas unique.

_ Se prenant littéralement la tête (entre ses mains), Shigeru Miyamoto réfléchit, se masse les cuisses, se gratte le menton, prends deux minutes avant de répondre…

_ Oh la-la. Il faut que je réfléchisse ! C’est beaucoup de responsabilité ce que vous dites là !

_ Au fond, ce qui me surprend toujours, c’est que je vis avec l’idée que les Etats Unis respectent davantage les développeurs que le Japon. Ici, les noms de Wright, Meier, Molyneux sont plus universels. Au risque de surprendre, je trouve qu’il y a quelque chose de plus anonyme au Japon. Cela dit, on ne sait pas vraiment qui, quel créateur, a inventé Halo…

_ Notre vrai avantage chez Nintendo, c’est que le jeu est notre cœur de métier. Nous fabriquons des jeux et des consoles et rien que ça. Je ne veux pas minimiser mon rôle ou mon influence ou ma responsabilité dans la réussite de certaines choses… Mais en tout cas je ne peux pas tout revendiquer.

Vos deux plus grandes créations ont grandi. Mario a désormais 25 ans, Link, le héros de Zelda, aussi. Ne pensez-vous pas qu’il est temps pour eux de se marier et d’avoir des enfants ? Chacun de son côté, je précise…

_ Hi-hi ! Mickey est encore plus âgé que ça. Et il n’est toujours pas papa.

Laissez-moi vous poser la même question plus directement : n’avez-vous pas envie de créer un ou des nouveaux personnages, des héros entièrement neufs ?

_ C’était mon but avec les Pikmin, que j’ai commencé à développer pour le GameCube et il y aura d’ailleurs un Pikmin Wii U sur lequel je travaille aussi. Mais je suis d’accord : il ne faut pas toujours refaire. Et de ce point de vue, la Wii U se présente bien : c’est le système idéal pour accueillir de nouvelles catégories de jeux et de nouveaux personnages.

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