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Libération
Critique

La bonne aventure d'«Uncharted»

par Bruno Icher et Olivier Seguret
publié le 7 décembre 2007 à 1h54

Les deux premières heures d'Uncharted sont un éblouissement. Visuel, sensoriel, scopique. A chaque seconde, le jeu respire cet amour du travail bien fait qui est une marque de fabrique du studio Naughty Dog (Crash Bandicoot, Jack & Daxter). Il y a d'abord sa très haute élaboration technique, certes, mais aussi son style. Le registre narratif est celui d'un film d'aventures de série B dont les codes années 40 seraient adaptés au monde moderne, sur le modèle Indiana Jones.

Briscard. Dans le même registre, le jeu affiche une proche parenté avec Tintin, époque Temple du soleil, poussant la ressemblance, voire l'hommage, jusqu'à installer un personnage secondaire de vieux briscard qui a non seulement l'allure mais aussi le rôle de faire-valoir du capitaine Haddock. Et, pour faire bonne mesure, le jeu a aussi puisé du côté de Lost quelques ingrédients significatifs, depuis les ennemis pirates jusqu'à l'enchaînement de mystères. L'un d'entre eux, une carcasse d'avion coincée dans les branches d'un arbre, est une référence transparente à la série de J.J. Abrams.

Modélisés par une motion capture plus fine que jamais, les personnages évoluent dans une incroyable saturation de lumières et de couleurs. Partout dans la jungle, sous les cascades et sur les ruines des temples, une indescriptible volupté plastique s'épanouit, qui rappelle celle qu'expriment les peintures pop et édéniques d'un David Hockney.

Le style, c'est ce qui signe le jeu autant que l'homme : celui d'Uncharted, au-delà des hommages qu'il rend sans fard à quelques glorieux aînés (Tomb Raider, Prince of Persia) n'appartient qu'à lui et promet de faire date. Pour le joueur, l'expérience rappellera cet effet de consistance obtenu avec des jeux puissants mais sobres et relativement brefs, comme le King Kong de Michel Ancel ou Resident Evil 4 : le meilleur signe de leur bon équilibre est dans l'irrésistible envie qu'ils donnent d'être rejoués sur-le-champ, si possible à un niveau supérieur (quatre, dont un à débloquer, sont ici disponibles). «Quand nous avons commencé ce projet, il a trois ans, rappelle Christophe Balestrat, patron frenchy de Naughty Dog, la petite équipe était composée d'artistes qui se sont totalement lâchés sur la création des personnages et des décors. Dès cette époque, nous savions que nous ne ferions pas un jeu photoréaliste. Quand nous avons travaillé sur l'animation, avec des comédiens et les techniques de motion capture les plus pointues, nous n'avons jamais perdu de vue le style graphique que nous voulions donner au jeu. Il fallait mettre au service de ce style toute la fluidité que nous permettaient certaines techniques. Par exemple, les dialogues ont été enregistrés en même temps que les captures d'images des acteurs. Ce n'est pas un gadget, cela ajoute vraiment quelque chose.»

Vitrine. Le résultat est la définition de nouveaux standards dans d'innombrables domaines techniques et ludiques et, au bilan, l'un des meilleurs jeux de la PS3, dont il est d'ailleurs une vitrine. C'est la nature même du contrat entre Sony et Naughty Dog : produire avec Uncharted non seulement un jeu de première catégorie mais aussi une sorte de démo en actes de la puissante console, où le fait ludique remplace le boniment. Et les développeurs ne se sont pas gênés pour mettre les pleins feux. Pourtant, Balestra estime à «environ 30 %» du potentiel technique global de la machine les ressources sollicitées par Uncharted. La marge colossale toujours disponible laisse rêveur.

Volets. Mais on y trouve aussi le germe d'une hypothèse : la franchise Uncharted a l'avenir devant elle. Et Christophe Balestrat a quelques raisons de se montrer confiant pour la suite : «A plusieurs reprises, nous avons choisi de laisser de côté des séquences qui n'étaient pas complètement au point. Cela ne valait pas le coup de dévaluer le jeu pour une séquence de plus. Mais cela nous a permis d'acquérir énormément d'expérience pour l'avenir. A présent, avant même d'imaginer donner une suite à ce titre, nous devons réfléchir à ce que nous venons de faire. Pour exploiter ce travail de la meilleure manière possible.» L'épisode Drake's Fortune n'est que le premier d'une série Uncharted dont les volets s'augmenteront sans doute autant en consistance qu'en approfondissement. Avec le bien nommé Uncharted (inexploré, inconnu, non répertorié), un exceptionnel moteur a été créé : aux développeurs d'imaginer les vaisseaux qu'il fera voyager.

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