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Libération

La cinématrice

par Olivier Seguret
publié le 15 mai 2012 à 11h07
(mis à jour le 15 mai 2012 à 11h11)

«Mon corps est composé à 60% de films» , a déclaré, jeudi à Paris, Hideo Kojima, l'un des plus célèbres et des plus brillants développeurs du monde. Cette curieuse formule a été prononcée lors de la conférence de presse donnée pour les 25 ans de Metal Gear Solid (1), très fameuse série d'infiltration et d'espionnage tactique, dont la fécondité et la hardiesse ont durablement imprégné l'art du game-design et dont Kojima est le créateur. Il voulait ainsi signifier l'influence primordiale que le cinéma a depuis toujours exercée sur sa psyché d'homme et d'artiste.

Ses jeux en sont d’ailleurs une démonstration en actes : on y croise des figures héroïques derrière lesquels on reconnaît la matrice cinéphile qui les a façonnés, on y «joue» des séquences qui empruntent leur rythme à tous les genres de films (même la comédie musicale dans l’opus 4), on y évolue dans des ambiances graphiques puisées à la source du cinéma (Hitchcock, le cinéma américain de la guerre froide, etc.), enfin, dialogues ciselés et cinématiques spectaculaires y abondent… La déclaration du game-designer n’est donc pas une révélation, mais elle est intrigante dans sa formulation biologique : Kojima, 50 ans bientôt, a beau avoir les apparences et le statut d’un prince de la virtualité, lui-même se définit d’abord comme un enfant du cinéma. La question de l’âge du capitaine prend ici toute son importance : l’enfance de Kojima précède l’avènement du jeu vidéo.

Du coup, ce qui résonne le plus fortement dans cette image d’un corps composé de films, c’est ce qu’elle annonce, ce revers symétrique : quels sont, quels seront, les game-designers dont le corps est composé en majorité de jeux vidéo ? A quel moment et pour quels effets s’effectuera le passage, symbolique et générationnel, qui fera du jeu la culture de référence essentielle du game-design ? C’est un fait démographique : les grands maîtres sont tous de la génération de Hideo Kojima, ou plus vieux, et les exceptions à cette règle (Fumito Ueda, Jenova Chen) ont souvent un statut arty qui les isole de la reconnaissance et du succès populaires. Il n’empêche, les studios sont peuplés de jeunes développeurs dont le lait nourricier a été le jeu. Ce que le game-designer nippon nous a fait entrevoir, c’est que le jour approche où un jeune développeur déclarera avoir le corps «composé à 60%» de jeux de Kojima.

(1) Une compilation HD de trois titres de la série MGS vient d'être éditée par Konami, pour PS3 et Xbox 360, 35 € env.

Paru dans Libération du 14 mai 2012

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