La copie privée est une exception légale, pas un droit

par Astrid GIRARDEAU
publié le 8 décembre 2008 à 18h36
(mis à jour le 8 décembre 2008 à 20h57)

La copie privée n'est qu'une exception, non constitutive d'un droit, avait estimé la cour d'appel de Paris , le 20 juin 2007, dans l'affaire relative aux mesures techniques de protection qui oppose Warner Music France et la Fnac à l'UFC-Que Choisir et un consommateur. Le 27 novembre dernier, la Cour de cassation a confirmé cet arrêt , et donc rejeté le pourvoi, rapporte Legalis . Cela met fin à une bataille juridique, aux rebonds et jugements contradictoires, qui dure depuis cinq ans.

L'histoire remonte à 2003. Un consommateur, Christophe R. se plaint de ne pouvoir ni lire ni copier sur son ordinateur (un portable Mac) un CD de Phil Collins, Testify , acheté à la Fnac. Avec l'association de défense des consommateurs, l'UFC-Que Choisir, ils font constater par huissier que le CD ne peut pas être lu sur l'ordinateur de Christophe R. et que son contenu ne peut pas être enregistré sur le disque dur ni gravé sur un support numérique vierge. Ils décident alors d'assigner à la fois la maison de disques, Warner Music France, pour «défaut de conformité et violation du droit à la copie privée» , et la Fnac, pour «défaut d'information» .

Le 10 janvier 2006, le Tribunal de Grande Instance de Paris donne raison aux plaignants, et condamne Warner et la Fnac. A quelques semaines de la reprise des débats sur le controversé DADVSI, ceci est vécu comme une victoire pour le droit à la copie privée. D'autant qu'elle confirme deux autres jugements rendus en avril 2005. Dans son jugement (pdf) , le TGI juge ainsi illicite la mise en place d'un système anti-copie (type DRM) sur le disque de Phil Collins. Il considère que la mise en place d'un tel système constituait «un vice caché» limitant la lecture du CD, par exemple sur ce portable.

Selon les termes employés par UFC-Que choisir, le TGI rappelle également que le droit à la copie privée «s'impose aux auteurs et aux bénéficiaires des droits voisins quel que soit le support utilisé» . Et interdit ainsi à Warner d'utiliser, pour le CD concerné, «une mesure technique de protection empêchant la réalisation de copies privées sur tout support» . De con côté la Fnac est condamnée d'avoir commercialisé ce CD sans informer ses clients des restrictions induites par ces DRM. Les deux sociétés sont condamnées à verser 5000 euros à UFC-Que Choisir, et 59,50 euros de dommages et intérêts au consommateur.

Mais le 20 juin 2007, la cour d'appel de Paris infirme ce jugement, et déboute l'association et le consommateur. Selon elle, il n'est pas possible d'établir qu'il y a un vice caché sur le produit, car les plaignants n'ont pas apporté la preuve que le problème de lecture venait du CD et non du matériel de lecture. De plus, elle estime qu'il n'y a pas de manquement à l'obligation d'information, et que la présence de DRM (imprimée en petits caractères au verso) était clairement indiquée sur la pochette du CD.

Mais surtout la cour d'appel estime que «la nature juridique de la copie privée (...) ne constitue pas un droit mais une exception légale au principe de la prohibition de toute reproduction intégrale ou partielle d'une œuvre protégée faite sans le consentement du titulaire de droits d'auteur.» Elle en déduit que si l'exception de copie privée peut être utilisée «pour se défendre à une action, notamment en contrefaçon, elle ne saurait être invoquée, comme étant constitutive d'un droit, au soutien d'une action formée à titre principal.»

Le 27 novembre dernier, la cour de cassation a confirmé cet arrêt . Elle a notamment retenu que « la copie privée ne constitue pas un droit mais une exception légale» , et ne pouvait en conséquence que déclarer les demandes de Christophe R. irrecevables dans une action à titre principal.

Une «exception légale» qui a rapporté en 2006 plus de 150 millions d'euros. Et que les ayant droits souhaiteraient voir augmenter. Dans le cadre des discussions actuellement en cours avec la Commission pour la copie privée, ils ont ainsi réclamé une hausse de 15% sur l'ensemble des barèmes sur les supports vierges (CD, disque dur externe, clé USB, carte mémoire, etc.).

Sur le même sujet :

_ - Musique : Sacrifice de DRM pour faire passer la riposte graduée (23/10/2008)

_ - Wal-Mart va devoir se traîner ses DRM

_ - Musique en ligne : Les verrous en voie de disparition (17/09/2008)

_ - Les DRM n'abdiquent (toujours) pas (29/08/2008)

_ - Les DRM vieillissent mal (chez Yahoo aussi) (29/07/2008)

_ - Casser les verrous numériques n'est pas un délit (29/07/2008)

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus