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Critique

La guerre un ton au-dessus

Docu . France 2 débute ce soir la diffusion d’une série colorisée sur le conflit de 1939-1945.
par Isabelle Hanne
publié le 8 septembre 2009 à 0h00

Ecran noir. Voix off ronde, sentencieuse : c'est Mathieu Kassovitz qui parle. «Ceci est la véritable histoire de la Deuxième Guerre mondiale [silence dramatique, ndlr]. Pour que les générations se souviennent de l'apocalypse. [musique poignante] Apocalypse, la Deuxième Guerre mondiale.» Voilà, en exclu, les trente secondes inaugurales de la série-documentaire-événement en six épisodes réalisée par le duo Isabelle Clarke-Daniel Costelle et produite en partie par France Télévisions. Les deux premiers volets sont diffusés ce soir sur France 2, en prime-time.

«Echantillons». Les premières images sont celles de cadavres qu'on déterre et qu'on traîne, de l'Armée rouge qui livre ses derniers combats. Berlin, 1945, ambiance Allemagne année zéro. Mais le Rossellini a pris des couleurs : le grand parti pris de ce documentaire, c'est la colorisation des archives. «La mise en couleur», corrige Daniel Costelle.

C'est François Montpellier, coloriste vidéo, qui a minutieusement passé à la palette des heures d'archives - pour une minute de film, il a fallu jusqu'à trois jours de travail. «La technique consiste non pas à aller chercher des couleurs, mais des textures, des échantillons sur des films couleur d'époque», explique Isabelle Clarke. «C'est un travail très cadré, dans le respect de l'Histoire, validé par des spécialistes, souligne Daniel Costelle. On avait une garde rapprochée d'historiens qui nous tombaient dessus du matin au soir.»

En couleurs, sonorisé et en haute-définition, le projet est ambitieux. Isabelle Clarke ose même la qualification de «grande série fondatrice» : «On peut voir la guerre en six heures, en couleurs et d'un point de vue mondial.» La série veut «donner une mémoire vive de la Deuxième Guerre mondiale» et «toucher les jeunes générations» qui ne seraient pas très fans du noir et blanc, selon la réalisatrice.

Un parti pris qui va faire grincer le dentier de plus d'un puriste de l'archive. «Il faut toujours un peu de controverse», soupire Isabelle Clarke qui voit le noir et blanc de l'époque comme une «amputation» due à des «limitations techniques».«Je ne supporte pas les intégristes qui refusent de toucher aux archives. La couleur, c'est la condition pour que ces documents ne soient pas réservés aux seuls chercheurs.»

Louis Vaudeville, le producteur de la série, avance l'argument commercial : «On n'aurait jamais pu passer en prime avec un documentaire en noir et blanc. Un documentaire sans son et sans couleur, c'est élitiste, ça passe à 23 heures sur Arte, ça fait 4 % de part d'audience et c'est regardé par des passionnés de plus de 50 ans.» Lui aussi anticipe la petite polémique : «C'est sûr, certains vont nous traiter d'hérétiques.»

Autre choix que d'aucuns pourraient juger surprenant : celui de laisser en noir et blanc les images de la Shoah. Décision prise après discussion avec la Fondation pour la mémoire de la Shoah, partie prenante du documentaire (elle a versé 30 000 euros, sur un budget total de 3,6 millions), «compte tenu de l'ambiance et du mouvement révisionniste, justifie Isabelle Clarke, on ne voulait pas être taxés de manipulateurs.» Ne pas donner du grain à moudre aux négationnistes. Avec le risque qu'on les accuse d'avoir mis au point une hiérarchie du pire, de la couleur au noir et blanc. Du coup, l'équipe a aussi décidé de laisser telles quelles les images des massacres civils.

A part quelques infographies qui expliquent les stratégies militaires, la lecture d’extraits de mémoires des grands chefs de guerre ou de correspondances d’inconnus, le documentaire ne fonctionne que sur le doublon images d’archives et commentaire - écrit par Costelle et dit par Mathieu Kassovitz.

Eloquence. Des documents extraordinaires, souvent inédits, choisis parmi 700 heures d'images récoltées partout dans le monde, collectionneurs privés ou cinémathèques, auxquels la couleur donne toute leur éloquence. Et conforte la démarche d'Isabelle Clarke : «Mettre la guerre à hauteur d'homme.» Image d'un soldat nazi atteint de dysenterie qui court pour se soulager dans la neige lors de l'opération Barbarossa en URSS. Visages de jeunes femmes en larmes qui laissent leurs maris partir au front. Et cette petite fille, Rose, filmée par son père pendant le Blitz à Londres, qui sert de fil conducteur à deux épisodes de la série.

C’est vrai qu’on se demande à quand la guerre en 3D, avec lunettes en carton logo France Télévisions. Que la musique frise la bande-son blockbuster, que l’habillage visuel est cheap. Mais franchement, c’est scotchant. Efficace, pédago, simple mais pas simpliste. A l’attention des profs d’histoire usés de répéter chaque année le programme de terminale : on vous propose d’appuyer sur play, de vous asseoir à votre bureau et de corriger vos copies. Tranquille.

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