«La liberté, la liberté, les gens n'ont que ce mot-là à la bouche!»

Le groupe UMP de l'Assemblée nationale a organisé une réunion autour du projet de loi Création et Internet regroupant élus, artistes, et représentants des industries culturelles. Récit.
par Astrid GIRARDEAU
publié le 4 mars 2009 à 18h06
(mis à jour le 5 mars 2009 à 12h35)

Citant La Vérite si je mens 2 , Jean-François Copé, président du groupe UMP à l'Assemblée, -- qui doit apprécier le comique de répétition -- a ouvert, ce matin, la rencontre entre députés UMP et représentants du monde de la musique, du cinéma, et de l'audiovisuel autour du projet de loi Création et Internet : « Donnons sa chance au produit » . Avant l'examen du texte devant les députés, qui démarrera le 10 mars prochain, Jean-François Copé et Franck Riester, rapporteur du texte, rassemblaient en effet leurs troupes sur les bancs de la salle Colbert, à l'Assemblée. L'objectif était de convaincre les récalcitrants, et de rappeler les arguments à tous. La recette : une dose de chiffres, une dose de peoples (Jean-Jacques Annaud, Vladimir Cosma, Thomas Dutronc, Michael Goldman, etc.), et une dose de vécu. Et peu de débat.

Avant de lancer les deux tables rondes, la première sur la musique, la seconde sur le cinéma et l'audiovisuel, Jean-François Copé s'est dit «à titre personnel, déterminé comme jamais sur l'adoption de cette loi face à ce qui se passe de manière sourde et invisible depuis quelques années» . Un phénomène que «personne n'a vu venir» . Un constat repris par quelques intervenants, sans oublier que Napster remonte déjà à 1999. Le président du groupe UMP a ensuite insisté sur l'importance des rapports avec l'opinion publique, où la droite, selon lui, joue le mauvais rôle de celui qui règlemente «dans une ambiance où la mode du moment est plutôt de défendre la gratuité totale sur Internet» . Une attitude d'ailleurs qualifiée de «courageuse» par l'artiste et producteur indépendant Bertrand Burgalat

Jeunes

A écouter les différents intervenants, le problème est le jeune. L'adolescent de 10-20 ans qui a grandi avec Internet, et qui croit que tout est gratuit. A commencer par les enfants des députés même, «il ne voit pas vraiment pas le problème de télécharger» a expliqué Copé en parlant de son fils de 14 ans. Une député s'inquiète d'ailleurs du fait que les parents ne sont pas forcément au courant des activités de leurs enfants, mais que ce sont eux qui vont finalement être sanctionnés si leur accès Internet est coupé. On lui a répondu qu'il s'agissait là d'une question de responsabilité, et que l'envoi de la lettre recommandée devrait justement permettre de les informer. De manière plus générale, le projet de loi est vu comme un outil pédagogique à l'adresse tant des enfants que des parents.

Chiffres

Un certain nombre de représentants de l'industrie du disque et du cinéma ont tout d'abord souhaité rappeler l'état de leur économie, et la mettre en parallèle avec les chiffres du téléchargement. Dans cette réunion, dont le but était donc d'informer et de convaincre les députés de la majorité, certains chiffres, cités les uns à la suite des autres, avaient de quoi intriguer. Par exemple, alors qu'il a été rappelé que le chiffre d'affaire de l'industrie musicale avait chuté de 50% en 5 ans, Bernard Miyet, président du directoire de la SACEM, a expliqué que «l'ensemble de leurs revenus avait stagné» , avant d'ajouter, sans entrer dans les détails, «voire baissé» .

Bernard Miyet en a profité pour rappeler son souhait de taxer les fournisseurs d'accès à Internet (FAI). Il a insisté sur le fait que le texte ne devait surtout pas être édulcoré dans ses sanctions, et qu'il y devait y avoir un vrai suivi du texte. Enfin, il a eu un mot pour les internautes, «un petit nombre, toujours les mêmes» , qui, selon lui, envoient des mails et des messages insultants lors des tchats. «Il ne faut pas vous laisser intimider !» , a t-il lancé aux députés.

Pour revenir aux chiffres, Nicolas Seydoux, président de Gaumont, et président de l'ALPA (Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle) a indiqué que la fréquentation en salles avait baissé. Etonnant, alors que, selon Médiamétrie, les entrées dans les salles françaises ont augmenté de 6,2% en 2008 , pour un total de 188,8 millions d'entrées.

Licence globale

Tous les intervenants ont tenu à réaffirmer leur rejet de tout système de licence globale, l'un des arguments défendus par les députés socialistes. «A l'époque de la DAVDSI (2006), il n'y avait pas de solution alternative. Aujourd'hui on a des solutions» , a expliqué Copé. Pour Bertrand Burgalat, cela pose des problèmes de répartition, et selon lui, reviendrait à «appliquer la Sécurité Sociale à la musique» .

Aussi, selon Vincent Frérebeau, fondateur du label Tôt ou Tard, «pour identifier les œuvres qui circulent, il faudrait mettre en place des filtrages mille fois plus graves que ceux qu'on va mettre en place, et dont on nous dit qu'ils sont liberticides.»

De son côté, Pascal Nègre a rappelé qu'une licence globale devrait prendre en compte toute la création, non seulement de la musique, mais aussi du cinéma, de la littérature, etc. Or, selon ses calculs, «cela reviendrait à doubler ou tripler l'abonnement actuel aux FAI» . «Par ailleurs, la licence globale existe déjà , a rajouté le PDG d'Universal, ça s'appelle l'abonnement» .

Seule voix discordante, celle d'Alain Suguenot, l'un des députés UMP à avoir déposé des amendements contre la loi ( lire l'article ). Selon lui, on ne peut pas aller contre Internet, et le texte proposé : «Ce n'est pas Création et Internet, mais Sanction et Internet» . Aussi, il propose de «créer un fond spécifique à travers Internet pour financer la création» . Enfin, il craint que, tout comme la DAVDSI, qui voyait dans les DRM «une solution extraordinaire» et n'a pas empêché le développement du piratage, «on va perdre une nouvelle échéance» .

La valeur travail

«On est un moment historique où l'exception culturelle française est en jeu. On a une destruction de la valeur. On a fait passer la technologie avant la création» , a déclaré Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP. «Il y a une valeur aujourd'hui qu'oublie la gauche, c'est la valeur travail. On ne peut pas accepter l'idée des gens travaillent sans être payés , s'est-il exclamé. Et on attend que la gauche se ressaisisse, la valeur travail ne peut pas être une valeur qu'ils peuvent mépriser.» Cette idée de la valeur travail, qui a séduit la salle, a ensuite été reprise par différents intervenants.

Offre Légale et Gratuit

Tous ont souligné, et salué, le développement de l'offre légale, et le retrait des DRM. «Une offre importante de téléchargements, d'abonnements, de streaming est aujourd'hui disponible» , a rappelé Christophe Lameignière, président de Sony et du Snep (Syndicat national de l'édition phonographique), tout en soulignant qu'elle ne pouvait cependant se développer «face une concurrence déloyale, invisible et gratuite» .

«Pour que l'offre légale existe, il faut qu'il y ait une demande légale» ,

a déclaré de son côté, Françoise de Panafieu. «La liberté, la liberté, les gens n'ont que ce mot-là à la bouche» , a-t-elle déploré, avant d'appeler les artistes présents à parler aux jeunes. «Oui, on peut faire comprendre aux jeunes, aux gamins, que les choses ne sont pas gratuites» , lui a assuré Thomas Dutronc.

Selon Bertrand Burgalat pourtant, dans l'opinion, le mirage du tout gratuit est en train de changer. Selon lui, «il y a eu un fatalisme, comme pour la violence routière» . Mais qu'il peut être résolu «par un cadre légal» .

Pour Jean-François Copé, cela correspond à une évolution plus générale de l'opinion publique vis-à-vis d'Internet. «Aujourd'hui on entend parler d'aliénation. Mais aussi de contrefaçon, de dépendance, de fléaux (contenus pédophilies, etc.) , a t-il indiqué. Il y a une demande du public de réguler Internet.

Liberticide

«Cette loi n'est en rien liberticide» , ont tenu à dire et redire la plupart des intervenants. «Elle n'est pas liberticide mais plutôt idioticide !» , a lancé Christophe Cuvillier, président de la Fnac, voulant souligner l'imbécilité de l'internaute qui après avoir reçu des avertissements continuerait à télécharger illégalement.

Le seul à rentrer dans les détails, Nicolas Seydoux, a de nouveau utilisé la métaphore automobile : «Internet, c'est un forum où il se passe des échanges, comme sur la place de la Concorde; Et nous, on voit passer des 35 tonnes, ce qui est interdit. On va alors relever leur plaque d'immatriculation et le transmettre à l'Hadopi pour savoir qui c'est. On ne rentre pas dans les immeubles. On reste dans un lieu public. Il ne s'agit pas d'une police privée, il n'y a pas d'atteinte à la vie privée.»

Seul bémol avec l'intervention de Lionel Tardy, autre député à avoir émis des doutes sur le texte. Selon lui, se pose «le problème du droit judiciaire» . Par exemple, de savoir si «Hadopi doit avoir des pouvoirs judiciaires» .

Franck Riester a alors rappelé que l'Hadopi est composé de trois magistrats et que les présumés coupables auront la possibilité de recours devant le juge. Citant entre autres l'ARCEP, Christine Albanel, a rappelé de son côté que ce ne serait pas la première autorité à appliquer des sanctions.

Coupure de l'accès à Internet

«Ca n'est pas une chose si grave , a déclaré Jacques Fansten, le président de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), alors que Christine Albanel rappelait que «cela n'empêchait pas d'aller l'utiliser chez sa mère, sa copine ou sa grand-mère.» Seul Lionel Tardy a indiqué qu'il jugeait la suspension de l'abonnement «disproportionnée» .

Chronologie des médias

Le principal désaccord a porté sur la chronologie des médias. Bertrand Méheut, président de Canal + et de l'ACP (Association des chaînes privées), s'est dit fortement opposé à un rétrécissement des fenêtres. Pour lui, «il faut maintenir l'étanchéité des fenêtres, et l' idée de vouloir avancer la fenêtre VOD est mauvaise» . Il a expliqué qu'il fallait entretenir une «frustration» d'attente chez les spectateurs, et que par ailleurs «faire bouger cette fenêtre serait relativement inutile face au piratage, les pirates récupérant les films le plus souvent avant même cette fenêtre.»

Franck Riester a alors annoncé qu'avec Frédéric Lefebvre, il avait déposé des amendements pour réduire la sortie en DVD et VOD à trois mois. «Cela n'est pas réaliste , a réagi Alain Terzian, président de l'UPF (Union des producteurs de films). Tout s'écroulerait» . Le porte-parole de l'UMP est alors intervenu pour dire que leurs amendements étaient juste une façon d'amener les professionnels à définir les conditions, avant de lancer : «on ne va pas dire dans la loi si c'est trois ou six mois !»

Offres triple-play

Chacun de leur côté, Franck Riester et Christine Albanel, ont soutenu que les fournisseurs d'accès à Internet leur avaient assuré qu'il est possible de dissocier les différents services des offres triple-play dans les zones non-degroupées. «C'est une question qui a un coût, qui va prendre du temps, mais qui est possible» , a ainsi affirmé la ministre. Dans la foulée, elle a indiqué que les FAI avaient tout à y gagner, car d'une part «ils ont conscience qu'ils ont besoin de contenus» , et de l'autre, «le piratage leur coûte beaucoup d'argent en bande passante» .

En conclusion de la réunion, la ministre a très rapidement abordé les «logiciels coupe-feu» qu'il faudra installer par exemple dans les villes. Elle a rappelé que l'Europe et le monde entier s'intéresse à ce qui se passe en France. Elle a rappelé l'intérêt pédagogique de la loi, soulignant qu' «une amende serait gênante, car ça serait faire payer les jeunes alors qu'ils n'ont pas d'argent» , avant de définir cette loi comme «simple, efficace, fluide et adaptable» .

Sur le même sujet :

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