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Libération

«La “loi du nombre” polarise les opinions sur Internet»

par Astrid GIRARDEAU
publié le 1er août 2007 à 14h09

Le projet PleaseSpam.Us permet aux internautes de soumettre une adresse mail censée attirer le maximum de spams et d'inciter les autres à voter pour elle. Les emails proposés doivent donc être les plus attirants pour les spambots , ces robots utilisés pour collecter les e-mails sur le web. A partir de douze votes, l'adresse est alors placée sur la page d'accueil du site, à la merci des nombreux spamsbots qui parcourent sans cesse le net. Ainsi, en tête du classement , on trouve actuellement «president@whitehouse.gov» .

Nous avons contacté l'auteur du projet, Jonah Brucker-Cohen, , artiste et membre du centre de recherche OpenLab du Eyebeam Center for Art and Technology de New York (Etats-Unis). Interview.

D'où vient Please Spam Us ?

_ De ma frustration de voir toutes ces adresses mail encore publiées sur des sites, sans tenir compte de la façon dont les spambots travaillent aujourd'hui. Avec Please Spam Us , je voulais montrer ce système d'une manière suffisamment limpide pour que les gens arrêtent de rendre ainsi publique leur adresse. J'ai aussi remarqué que le filtrage collaboratif de sites comme Digg est devenu une méthode légitime pour faire remonter les sujets intéressants. Je voulais vérifier si cette méthode marche ou pourrait marcher un jour.

Sur le site, les objectifs de Please Spam us que vous citez sont multiples : remettre en question la prolifération du mail en tant que système de communication électronique, s'interroger sur le filtrage collaboratif, aider à l'éradication des spams, etc. Pouvez-vous nous éclairer un peu plus sur vos intentions ?

_ Le projet est destiné à mettre en lumière différents mécanismes. D'une part celui des spambots qui s'emparent des adresses mail, et parcourent le web à la recherche du tag HTML «mailto:» et de tout autre moyen déterminant la validité d'une adresse. D'autre part celui du filtrage collaboratif pour essayer de déterminer à quel point ils sont démocratiques ou biaisés selon le profil des utilisateurs enregistrés. Et comment «la loi du nombre» polarise les opinions sur Internet. Le fait d'utiliser le spam comme instigateur peut amener les gens à se demander pourquoi ces systèmes marchent et si d'autres systèmes ne pourraient pas finalement être plus démocratiques.

_ L'objectif est donc d'utiliser ces systèmes tout en les remettant en question. Je m'intéresse aussi à la façon dont les gens sur-utilisent le mail et sur l'importance de l'identité numérique par rapport à l'identité physique. Est-ce que l'identité numérique compte aujourd'hui davantage que l'identité physique ? Comment interagissent-elles ? Pourquoi donne-t-on plus d'importance à l'une qu'à l'autre ?

Please Spam us est-il lié à des projets de lutte contre le spam comme Honey Pot ou l' Anti-Spam Research Group ?

_ Non, le projet n'est pas associé à ces groupes. Mais ils sont intéressants et je pourrais intégrer certains de leurs résultats pour les prochaines versions du projet.

On peut imaginer que certains utilisent le site pour proposer l'e-mail de gens qu'ils n'aiment pas (à commencer par president@whitehouse.gov). L'aviez-vous anticipé ? Et avez-vous imaginé être attaqué pour avoir attirer les spammeurs sur une adresse mail ?

_ C'est vrai, le système peut être vu comme une sorte d'outil d'humiliation publique, mais il faut quand même que douze personnes votent pour une adresse avant qu'elle ne soit rendue publique.

_ La prochaine version du projet contiendra une section «Recours» où les gens dont d'adresse a été mise sur le site pourront soumettre un texte expliquant pourquoi leur adresse doit être supprimée du site. Ces recours seront à leur tour soumis aux votes des utilisateurs enregistrés.

_ Certains m'accuseront peut-être, mais ils doivent se rappeler que si j'ai aidé à créer le système, il utilise la «loi du nombre». Je ne suis pas donc responsable de la mise en avant de leur adresse. Finalement, ce projet est avant tout à l'image d'une société menée par la technologie et de la façon dont les gens associent leur identité aux systèmes numériques tels que le web et l'email.

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