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Libération

La pédophilie sur Internet (encore) instrumentalisée

par Astrid GIRARDEAU
publié le 22 juillet 2009 à 16h09

Depuis des mois, le gouvernement montre sa volonté de mettre en place un système de blocage, voire de filtrage, d'Internet dans l'objectif, dit-il, de lutter contre la pédo-pornographie. Si personne ne peut contester la légitimité de ce combat, il n'est pas acceptable de l'utiliser d'une part pour instrumentaliser le débat, de l'autre pour justifier tout et n'importe quoi.

Pourtant, c'est cet amalgame que Michèle Alliot-Marie s'est permise d'utiliser, hier, en séance publique à l'Assemblée nationale, dans le cadre des discussions sur le lors de l'examen du projet de loi relatif à la «protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet». Pour rappel, l'actuelle garde des Sceaux était il y a encore quelques semaines ministre de l'Intérieur, et donc en charge de la Loppsi, projet de loi dont un article est consacré au blocage des sites pour essentiellement «prévenir l'accès involontaire des internautes aux sites pédo-pornographiques» .

Voici donc le discours tenu hier par la garde de Sceaux :

«Bien entendu, internet est un formidable espace de liberté, et doit le demeurer !

Mais ce doit être aussi, et pour les internautes et pour ceux qui l’utilisent, un espace de sécurité. Il faut bien voir que la liberté est liée à un minimum de sécurité, et donc de règles qui permettent de sanctionner notamment un certain nombre de dérives, car des dérives, il y en a.

Pendant les deux ans, que je viens de passer au ministère de l’intérieur, j’ai eu diverses occasions de parler avec certains d’entre vous des problèmes de la cybercriminalité. À vous écouter, il s’agirait là de mesures liberticides. Pardonnez-moi, mais la pédopornographie par internet, il me semble que cela mérite effectivement des sanctions et donc un encadrement.

L’ensemble de la cybercriminalité et les escroqueries sur internet, c’est exactement la même chose.(...)

En ce qui concerne les sujets dont nous traitons aujourd’hui, le véritable problème est de savoir si l’on doit autoriser sur internet des violations de la loi qui sont sanctionnées partout ailleurs. C’est purement et simplement cela».

«C'est honteux ! Inadmissible !» , a immédiatement réagi le député socialiste Patrick Bloche. Puis, demandant un rappel au règlement, le député communiste Jean-Pierre Brard a pour sa part indiqué : «Mme la ministre a fait un amalgame tout à fait inacceptable, lorsqu'elle a dit que l'opposition n'était pas d'accord pour lutter contre la cybercriminalité en évoquant la pédophilie. Quand on veut noyer son chien, on dit qu'il a la rage. C'est dire la faiblesse des arguments du Gouvernement.»

La lutte contre la pédo-pornographie, et la pédophilie, est un sujet grave. Et les gendarmes qui travaillent dans ce secteur témoignent tous d'un manque réel, matériel, de moyens. Aussi on ne peut que redouter que son successeur au ministère de l'Intérieur, Brice Hortefeux, soit tenté d'utiliser des manœuvres identiques quand il s'agira de débattre, dans les mois prochains, de la Loppsi.

Et plus largement que le gouvernement veuille instrumentaliser ce combat par exemple pour ouvrir la boîte à Pandore d'un contrôle de l'Etat sur la diffusion des contenus sur le web. On garde ainsi en mémoire, le président de la République, Nicolas Sarkozy déclarant en février dernier : «je souhaite que les fournisseurs d'accès bloquent les sites pédo-pornographiques et illégaux» . Illégaux ? Par exemple ? Au nom du respect de la propriété intellectuelle ?

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