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Libération

La propriété intellectuelle avant le droit fondamental sur Internet?

par Astrid GIRARDEAU
publié le 24 mars 2009 à 13h53

Fin février, le rapport Lambrinidis était voté à l'unanimité, à Bruxelles, par la commission des Libertés civiles, de la Justice et des Affaires intérieures (LIBE). Ce texte sur «le renforcement de la sécurité et des libertés fondamentales sur Internet» contient notamment une mention qui entrave directement la coupure de l'accès à Internet telle que prévue dans le cadre du projet de loi français Création et Internet. Il estime ainsi que «chaque individu tout au long de sa vie doit avoir le droit d'accéder à l'ordinateur et à Internet» et que «cet accès ne doit pas être refusé en tant que "sanction" contre les infractions des citoyens» .

Alors que le rapport doit être débattu demain, mercredi 25 mars, en séance plénière au Parlement Européen, puis voté dans la matinée du 26, les autorités françaises ont publié hier leurs avis et recommandations de vote. Et comme pour le Paquet Télécom, la France a réintroduit le droit à la propriété intellectuelle dans un texte dont ce n'est pas l'objet à l'origine.

«Certains membres ont en effet signé individuellement des amendements concernant la propriété intellectuelle, et par ailleurs, approuvés par les lobbys du copyright. Mais, comme je l'ai dit, ce n'est pas un rapport sur les droits de la propriété intellectuelle, et c'est ainsi qu'il a été adopté à l'unanimité par la commission LIBE , nous explique le député social-démocrate grec Stavros Lambrinidis. Ce rapport a un intérêt politique général et concerne le respect des droits fondamentaux sur Internet, il ne concerne aucune sorte d'infraction spécifique.» Il poursuit : «Il s'agit de la première recommandation formulée par les députés pour réconcilier lutte contre la cybercriminalité et droits des internautes : les libertés d'association et d'expression, la non-discrimination et d'autres droits qui ne peuvent qu'être défendus par la législation de l'UE, étant donné que l'Internet ne connaît aucune frontière.»

L'un des éléments du rapport est donc de garantir un accès universel et permanent à tout citoyen : «considérant que l'"e-illettrisme" sera l'illettrisme du 21e siècle ; considérant que garantir l'accès de tous les citoyens à Internet équivaut à garantir l'accès de tous les citoyens à l'éducation et considérant qu'un tel accès ne devrait pas être refusé comme une sanction par des gouvernements ou des sociétés privées, considérant que cet accès ne devrait pas faire l'objet d'abus dans la poursuite d'activités illégales» .

Si les autorités françaises disent souscrire «à l'objectif d'un accès le plus large possible à Internet» , elles estiment également que «rien ne saurait pour autant imposer que cet accès soit garanti de manière absolue depuis son domicile et sur son propre ordinateur (sachant que l'accès reste toujours possible, le cas échéant, depuis d'autres lieux)» . Selon elles, les fournisseur d'accès à Internet (FAI) doivent pouvoir résilier l'abonnement des mauvais payeurs, mais surtout, «des mesures judiciaires ou administratives doivent pouvoir continuer à être prises dans le cas où des abonnés à Internet utilisent leur accès à des fins illicites» . Pour ces raisons, elles rejettent la mention «et considérant qu'un tel accès ne devrait pas être refusé comme une sanction par des gouvernements ou des sociétés privées » qui viserait, selon elles, «à doter l'accès à Internet d'une protection absolue au détriment de l'exercice de tous les autres droits – notamment du droit de propriété» . Repris, en France, dans l'amendement 397 du projet de loi Création et Internet , ce principe a d'ailleurs été rejeté par les députés jeudi dernier.

A propos de la cyber-criminalité, la France évoque «une approche commune pour lutter contre l'usurpation d'identité sur Internet et le renforcement du partenariat entre les autorités publiques et le secteur privé» , et estime «qu'Internet abolissant les frontières, le renforcement de la coopération internationale avec les pays tiers (...) est essentiel pour que des ripostes efficaces soient mises en place» . De son côté, Lambrinidis nous souligne «l'importance fondamentale de lutte contre la criminalité sans recourir à la surveillance de tous les utilisateurs d'Internet, qu'ils soient ou non soupçonnés de crime» . Pour lui, «le monde d'Internet n'est pas différent de la réalité. Les gouvernements et les sociétés privées ont la même obligation de respecter les droits fondamentaux du citoyen en ligne comme off-line.»

Sur l'aboutissement du vote, Guy Bono nous dit «s'inquiéter des pressions exercées par les autorités françaises sur un certains nombre de députés européens» . Pour l'euro-député du pays d'Arles : «Si le gouvernement français s'acharne à ce point, c'est qu'il sait son projet de loi [Création et Internet, ndlr] contraire au droit communautaire.»

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