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Jiwa : «La pub audio, c'est un tue-l'amour»

Entretien avec Jean-Marc Plueger, confondateur de Jiwa, le site de musique en streaming.
par Astrid GIRARDEAU
publié le 20 mai 2009 à 10h43
(mis à jour le 20 mai 2009 à 15h35)

«J'aime aller sur le site Jiwa …» . Non, il ne s'agit pas de la campagne publicitaire du site français de musique en streaming pour le lancement de sa nouvelle version. Mais d'une déclaration de Christian Paul . Lors de l'ouverture des débats sur le projet de loi Création et Internet, le 10 mars dernier, tout l'hémicycle s'était tout d'un coup mis au streaming audio. Et Christine Albanel, Frédéric Lefebvre, ou Jean Dionis du Séjour, de citer à tour de bras le site leader Deezer. «Pour ma part, j'aime fréquenter Jiwa, un site commercial gratuit, où l'on peut trouver des millions de titres en écoute libre, comme sur Deezer, cher à Patrick Bloche, ou musicMe, qu'affectionne Didier Mathus» lançait alors le député socialiste.

Il y a dix jours, Jiwa a mis en ligne sa V2. Côté interface, un nouvel habillage, d'abord plus complexe, mais finalement assez intuitif. Mais aussi le développement de nouvelles fonctionnalités, la mise en avant de l'aspect communautaire et des contenus éditoriaux (interviews, chroniques, etc.). Côté catalogue, le site a signé avec les majors Sony, EMI, Warner, les indépendants Naïve et Pschent, et les agrégateurs The Orchard, Idol, Zebralution, Alien Prod et Believe. Cela lui permet aujourd'hui d'offrir plus de 4,8 millions de titres en écoute gratuite continue, et sans publicité. Au moins pour le moment. Car le modèle économique reste à trouver.

Nous avons interrogé son co-fondateur, Jean-Marc Plueger.

Que représente cette nouvelle version ?

_ Jiwa existe depuis un peu plus d'un an, et on avait pas mal de demandes au niveau des fonctionnalités. Mais c'est d'abord plus de catalogue, avec une forte augmentation du nombre de titres.

Comme se sont passés les accords avec les majors ?

_ Très lentement. La société Jiwa a été créée en 2006. Avec mon associé, qui a travaillé vingt ans dans l'industrie du disque et connait très bien les directions des principales majors, on a commencé à les rencontrer en juin 2006. Le premier à signer a été Universal. Le 12 mars 2008. Je m'en souviens car on a ouvert le site dès le lendemain, le 13 mars. Entre les deux, on a eu toutes les couleurs possibles. D'abord un «non» catégorique. Sur le thème «au moment où on vend moins de CD, ça serait se tirer une balle dans le pied de diffuser nos albums gratuitement sur le net». A l'époque, ce qui nous a aidé, c'est Radio.blog.club [site de streaming fermé en mars 2007 par les sociétés de gestion des droits d'auteur ndlr . Ils se sont sûrement dit que pour lutter contre ça, il fallait une alternative légale.

Quel est votre modèle économique ?

_ Chaque fois qu'on diffuse une chanson sur le site, on paye les ayants droit. A la fois la SACEM et la maison de disque. De l'autre côté, on a aujourd'hui un seul revenu : la publicité affichée sur le site. On a un revenu publicitaire qui augmente pas mal, mais pas suffisant pour équilibrer ce modèle. C'est vrai pour Jiwa, mais aussi pour tous les autres sites du même secteur. Alors, à côté de l'accès à la musique gratuitement, on va proposer également un ensemble de services payants à la carte. Par exemple l'accès par mobile, des fichiers en meilleure qualité, etc.

«La publicité sur ce genre de site, c'est un peu un tue-l'amour.»

Et vous envisagez d'intégrer de la publicité directement à l'écoute comme va le faire Deezer ?

_ On y réfléchit. On a beaucoup d'utilisateurs qui lancent Jiwa et font autre chose. Et autant les gens sont habitués à la publicité sur la radio, mais pas sur Internet. Et sur ce genre de site, c'est un peu un tue-l'amour. Quand les gens ont vu le podcast exploser, ils ont pensé ça y est, la pub audio va enfin arriver sur le net. Mais, en fait, c'est resté très marginal. Sur Internet, le public n'a pas la même patience. Il n'est pas captif comme celui qui écoute la radio dans sa voiture. Alors on regarde la chose, mais on n'est pas pressés d'être les premiers à le faire.

Une des particularités de Jiwa est la qualité de ses encodages. Mais vous parlez de faire payer pour encore une meilleure qualité...

_ On accorde une importante particulière à la qualité de la diffusion. Pour cela, on récupère directement des fichiers Lossless («moins de perte ») des maisons de disque. Maintenant, en terme de diffusion, les quatre majors obligent les sites comme Jiwa à un niveau de compression qui ne peut pas être supérieur à tel niveau. Je pense que c'est une barrière pour éviter que cela ne tue complètement le marché du disque. Par contre, ils sont ouverts à des systèmes d'abonnement pour une qualité identique à celle du CD.

Par ailleurs, on travaille pas mal avec des fabricants de matériel hi-fii pour intégrer un élément qui récupère de la musique sur Jiwa. Ils réfléchissent à un système gratuit ou par abonnement d'accès, par wi-fi, à un très gros catalogue.

«Le streaming audio est en train de vivre un moment un peu similaire à ce qu'à connu le streaming vidéo il y a quelques années»

Vous avez totalement changé votre interface. Quelles sont les réactions ?

_ Comme toujours, avec une nouvelle interface, certains se plaignent que c'était mieux avant. Mais la semaine dernière, on a battu notre record de trafic, et la durée moyenne de visite. Mercredi dernier, on était à 35 minutes et 20 secondes en moyenne. A titre de comparaison, Deezer est à 20 minutes.

On est sur un marché très concurrentiel (Deezer, Wormee, etc.) et les autres acteurs du web sont en train de préparer leurs versions à eux. On est en discussion avec deux groupes français pour leur fournir notre technologie. Le streaming audio est en train de vivre un moment un peu similaire à ce qu'à connu le streaming vidéo il y a quelques années. Où tous les grands portails et sites voulaient leur propre plates-forme vidéo (Wideo , Wat TV, etc.). Par rapport à ça, on développe une offre b2b pour proposer un Jiwa en marque blanche, qui peut être habillé aux couleurs, par exemple, d'une télévision.

Le changement, ce qu'on voit, c'est vraiment la partie émergée de l'iceberg. On a développé des fonctionnalités nouvelles pour pouvoir se différencier. Mais on a décidé de les sortir progressivement, dans le temps.

Quels types de fonctionnalités ?

_ Aujourd'hui, notre aspect communautaire est assez rudimentaire. On travaille donc sur des fonctions plus évoluées. Par exemple sur un moyen de récompenser les gens qui nous amènent du trafic. On a un pourcentage d'utilisateurs, environ 3%, qui sont des très très gros utilisateurs. On les appelle les «tower-jiwers». Ils passent 5 ou 6 heures par jour sur le site, ont plus de 500 playlists et des milliers de titres. Ces gens-là nous apportent beaucoup. Ils écoutent, créent et génèrent des écoutes, et c'est en grand partie grâce à eux que le site est attractif et vivant. On cherche donc le moyen de les récompenser par des titres, des places de concert, etc.

Aussi, aujourd'hui on propose seulement les artistes de maisons de disque. Alors que, tous les jours, on reçoit des contacts d'artistes pas signés ou d'autres labels. Et on aimerait permettre à ces artistes de créer un compte, de diffuser leurs morceaux et pourquoi pas d'être rémunéré à chaque diffusion.

«On a du pain sur la planche !»

Comme sur Last.fm ?

_ Exactement. Cela nécessite un outil de suivi pour les artistes, à la fois très simple et très professionnel. On a du pain sur la planche !

Vous devez votre succès au bouche à oreille ?

_ Oui, Jiwa ne fait pas de marketing. Cela s'est créé par le bouche à oreille, et grâce aux articles qu'on a eu dans la presse ou sur les blogs.

... et grâce aux débats à l'Assemblée Nationale ?

_ C'est sûr que la musique numérique est devenu un sujet d'actualité, et les sites ont pas mal été cités. Par Christian Paul notamment.

Et quel est votre public ?

_ On a de tout. Et des extrêmes. On a ainsi des utilisateurs qui pratiquent tous les jours. Et d'autres qui sont des visiteurs réguliers du site mais ne consomment jamais. Ils l'utilisent, par exemple, comme un outil gratuit de rencontre pour rentrer en contact sur le mode : « Ah tu aimes Bob Marley ? Moi aussi...» . On a également un ensemble d'utilisateurs fréquents mais qui ne sont pas inscrits. Car, contrairement à Deezer, on a pas besoin d'être inscrit pour écouter la musique.

Quel était l'intérêt pour Deezer d'avoir fait ça ?

_ Simplement un moyen de rentabiliser leur fichier Clients.

Tous les contenus diffusés étant issus de partenariats, vous n'êtes pas concernés par les plaintes pour atteinte au droit d'auteur ?

_ En fait, ça nous est arrivé plusieurs fois, car il y avait eu une erreur. C'est un vrai casse-tête. Pour tel artiste, une maison de disque a tel droit sur tel territoire. Et elle peut l'avoir, et le perdre. Tous les jours, on reçoit ainsi une bonne dizaine de mails d'ayants droit pour nous indiquer qu'ils n'ont plus les droits sur tel titre.

Et il y a des cas extrêmes comme ACDC. On a signé avec leur maison de disque. Mais les papys du hard-rock n'autorisent aucune diffusion numérique de leur musique. Ni sur Jiwa, ni ailleurs.

«C'est dommage qu'on perde autant d'énergie et de moyens pour un système répressif»

Jiwa étant cité comme l'un des exemples de modèle gratuit et légal de diffusion de la musique en ligne, il est difficile de ne pas vous demandez votre avis sur la loi Création et Internet...

_ On nous dit souvent : «mais cette loi, c'est bien pour Jiwa non ?» Mais, on est totalement contre. D'abord, elle est inefficace. Technologiquement, elle n'a pas de sens. Et c'est dommage qu'on perde autant d'énergie et de moyens pour un système répressif alors qu'il y a des initiatives, comme Jiwa, qui pourraient générer des revenus aux artistes.

Je ne suis pas d'accord avec ceux qui disent que le piratage c'est bien. Mais il y a une vraie question : comment les artistes vont pouvoir vivre dans cette économie et quels sont les problèmes de droit sur Internet ? Et la réponse Hadopi est 100% mauvaise. Car les gens qui ont enfanté cette loi ne connaissent rien à Internet. Le système de détection, le filtrage des contenus, c'est aberrant. Aujourd'hui, il y a certainement des façons plus intelligentes que couper l'accès à Internet.

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