La pub boutée hors des écrans publics

Plus une seule minute de réclame sur France Télévisions : TF1 et M6 sablent le champagne.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 9 janvier 2008 à 1h52

Qui a dit que Nicolas Sarkozy ne faisait rien pour le pouvoir d'achat des Français ? Tss, de bien mauvaises langues assurément. Tenez, rien qu'hier, le président de la République a signé un chèque de 800 millions d'euros à deux citoyens dans le besoin, un certain Martin Bouygues et un obscur Nicolas de Tavernost. 800 millions dans les fouilles de TF1 et M6, c'est en effet la conséquence de la suppression de la publicité sur la télé publique annoncée hier par Sarkozy. Une «révolution», a dit le président. «Miam», a répondu la Bourse : à 10 h 25, le titre TF1 touchait les bas-fonds de la corbeille à 16,49 euros. Un quart d'heure plus tard, après l'annonce de Sarkozy, l'action s'envolait pour terminer en hausse de près de 10 %, en tête du palmarès de la Bourse. Martin Bouygues peut remercier le père de son filleul Louis Sarkozy.

Le fantasme de la BBC. Mais la décision présidentielle est une vraie révolution. A laquelle personne ne s'attendait. «Nous étions au courant, mais nous ne pouvions pas en parler», affirme-t-on mollement dans l'entourage de Patrick de Carolis, président de France Télévisions. Même Christine Albanel, ministre, il est vrai un rien évanescente, de la Culture et de la Communication, n'était pas au jus : «Elle savait que c'était dans l'air, indique-t-on rue de Valois, mais elle ne s'attendait pas à une mesure d'une telle ampleur.» Car Sarkozy a tranché dans le vif : plus une seule pub sur France Télévisions, rien, walou. «Le service public, son exigence, son critère, c'est la qualité, a-t-il expliqué. Je ne veux pas dire que la télévision publique doit être élitiste ou ennuyeuse. Mais seulement qu'elle ne peut pas fonctionner selon des critères purement mercantiles.» Patrick de Carolis s'est empressé de saluer cette «clarification» qui «va permettre de renforcer encore l'identité du service public». Le même Carolis qui, il y a quelques mois, réclamait à corps et à cris, l'autorisation d'une coupure pub dans les divertissements des chaînes publiques. En même temps, paradoxe pour paradoxe, pendant que Nicolas Sarkozy supprime la réclame sur France Télévisions, un certain Sarkozy Nicolas s'apprête à l'installer sur Radio France.

Ainsi, espère-t-on à France Télévisions, la télé publique va-t-elle en finir avec l'éternel reproche de vouloir singer TF1. Ainsi, la France se calque-t-elle sur le modèle fantasmé de la britannique BBC, financée seulement par la redevance. Un modèle qui a pourtant du plomb dans l'aile : «La BBC c'est de la télé-réalité et des jeux débiles», râlait hier un cadre de France Télévisions.

Mais tout reste encore à faire, à commencer par le recasage des 300 personnes de la régie pub de France Télévisions.

«Taxe infinitésimale». Côté gros sous, il faut compenser la perte des 800 millions d'euros de réclames. Et là encore, Sarkozy joue l'ouverture puisqu'il est allé pêcher l'idée chez. Ségolène Royal ! Ainsi que le préconisait la candidate socialiste dans son programme, Sarkozy a indiqué hier que la compensation sera assurée «par une taxe sur les recettes publicitaires accrue des chaînes privées et par une taxe infinitésimale sur le chiffre d'affaires de nouveaux moyens de communication, comme l'accès à Internet ou la téléphonie mobile». En échange du pactole de 800 millions d'euros, TF1 et M6 vont devoir mettre la main au porte-monnaie. Un peu. Car, évalue-t-on déjà au ministère de la Culture, «taxer de seulement 1 % les opérateurs de téléphonie et d'internet pourrait déjà rapporter entre 250 et 300 millions d'euros». La mesure devrait être couchée dans la loi sur l'audiovisuel promise par Christine Albanel dans les six mois à venir.

Certains prévoient déjà la disparition, au passage, d'une ou plusieurs chaînes publiques parmi les cinq que compte France Télévisions : «Forcément, indique-t-on du côté du gouvernement, la question du périmètre et des structures de France Télévisions va se poser.»

«Bol d'air». Au gouvernement, on plaide que cette mesure va aussi représenter un «bol d'air» pour les radios privées et la presse écrite. Il n'empêche qu'hier, c'était bien les chaînes privées qui faisaient sauter les bouchons. Même si officiellement TF1 ne fait pas de commentaire, se demandant à quelle hauteur la pub va être taxée en contrepartie. A M6, Nicolas de Tavernost est plus direct: «Ce n'est pas un cadeau, déclare-t-il à Libération, il n'est pas anormal que les télés publiques aient des recettes publiques et les télés privées des recettes privées. Il fallait clarifier le rôle de chacun, et c'est la première fois que quelqu'un a le courage de le faire.»

D'autant qu'au passage, TF1 et M6 pourraient bien voir exaucé un autre de leurs voeux. En effet, le report des annonceurs sur les privées va faire bondir le prix des espaces au risque de dégoûter M. L'Oréal. La solution : l'augmentation du nombre de coupures pub sur leurs antennes. Il est pas joli, le paquet cadeau ?

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus