La régie pub, stratégies autour d’un magot

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 14 avril 2010 à 9h39

Ce matin, à 9h30, Patrick de Carolis va faire une déclaration de guerre à Nicolas Sarkozy. Au cours d’un conseil d’administration, le président de la télé publique va demander «la suspension» de la privatisation (à 70%) de la régie publicitaire de France Télévisions. Offensive envers l’Elysée, ou plutôt contre-offensive. Pourquoi cette «suspension»? Parce que le rachat de la régie par un des nombreux amis médiatiques du président de la République, Stéphane Courbit (allié à Publicis), sent le gaz. Et parce que la publicité avant 20 heures, qui doit être supprimée fin 2011 selon la loi voulue par Sarkozy, pourrait bien être maintenue, ce qui rendrait caduque la privatisation.

«Un problème déontologique.» Ainsi Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, a-t-il récemment qualifié la vente de la régie publicitaire à Courbit et Publicis. Et ce pour deux motifs. D'abord parce que Stéphane Courbit est également producteur pour France Télévisions (le jeu de Nagui N'oubliez pas les paroles ). Or, on voit mal le proprio de la régie Courbit vendre des pubs chez le producteur Courbit. Ensuite, il y a le cas Publicis: ainsi détenteur de la régie, le géant de la pub se retrouverait à la fois vendeur, acheteur et conseil en espaces publicitaires.

Après l’ouverture de négociations exclusives avec Courbit (alors qu’un autre candidat, Hi Média, avait les faveurs de France Télévisions), deux groupes de travail ont été montés en interne afin de mettre en place des verrous juridiques. Conclusion : juridiquement, il n’y a rien à faire. France Télévisions déplace alors le débat sur le terrain de la morale et exige de Courbit qu’il choisisse : fromage ou dessert. Régie ou production, mais pas les deux. Et encore, France Télévisions ne s’est pas penché sur le cas d’Alain Minc (lire page 2)…

«Vu l'état de nos comptes publics…» Ainsi l'UMP Jean-François Copé, rassemblant un étonnant consensus droite-gauche, explique-t-il sa proposition de maintenir la pub en journée sur France Télévisions. Si le gouvernement et l'Elysée persistent, comme ils l'ont dit, à vouloir éradiquer la réclame diurne, c'est 200 millions d'euros par an qu'il faudra trouver pour compenser. Or, le gouvernement se refuse à augmenter la redevance. Sans compter que la taxe télécom (supposée compenser aux trois quarts la pub supprimée) est en passe d'être retoquée par Bruxelles.

En face, Courbit sent le vent du boulet et soutient mordicus que la non suppression de la pub avant 20 heures ne flanque pas par terre la privatisation, que des clauses sont prévues pour que, dans ce cas, il paye plus cher. Arguments de peu de poids et difficilement audibles mais que son ami Alexandre Bompard, s’il succède à Carolis, pourrait bien entendre.

Paru dans Libération du 13 avril 2010

Sur le même sujet :

- Copé collé à la pub en journée

- Copé veut garder la pub avant 20 heures

- Stéphane Courbit : le hic éthique fait tiquer

- Courbit : à lui la régie

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus