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La télé publique perd sa pub et le moral

Le personnel de France Télévisions s'inquiète de l'annonce par Sarkozy d'une télé sans publicité qui pourrait se terminer par le démantèlement du service public.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 11 janvier 2008 à 1h55

«Un gros pavé dans la tête.» C'est ce que vient de se prendre France Télévisions avec l'annonce aussi fracassante qu'inopinée par Nicolas Sarkozy lors de son barnum de mardi, de la fin de la publicité sur la télé de service public. Le mot est d'un journaliste de France 2 et ils étaient plus de 200 hier après-midi en assemblée générale à l'appel de la société des journalistes (SDJ) de la chaîne : journalistes, techniciens, chefs, voire superchefs à plumes en la personne d'Arlette Chabot, directrice de l'information de la Deux. Elle balance : personne au sein de la hiérarchie, y compris Patrick de Carolis, président de France Télévisions et Patrice Duhamel directeur des antennes, n'était au courant. Toutes les catégories de personnel sont là. Rare. Tous sonnés mais décidés à ne pas se laisser faire. Problème : en façade, l'annonce est séduisante. Qui ne rêve pas d'échapper aux interminables tunnels de pub de France 2 ? Mais on flaire l'embrouille et une multitude de questions restent en suspens (lire page 3) dont la principale : comment compenser les 800 millions d'euros qu'apporte la pub chaque année à France Télévisions ? Nicolas Sarkozy a évoqué une taxe sur les recettes des chaînes privées et des télécoms.

Mais encore ? Ben rien. Comme les ministères concernés (Culture et Budget) ont eux aussi appris la nouvelle pendant la conférence de Nicolas Sarkozy, personne n'a de réponse à donner, sinon que la loi serait votée avant l'été pour une application au 1er janvier 2009. Le consultant multicartes Alain Minc, soupçonné d'être à l'origine de cette brillante idée, n'a pas donné suite à la demande d'interview de Libération.

«Remuer le cocotier». Du coup, hier, lors de l'AG à France Télévisions, l'inquiétude est palpable. «Certains ont eu l'impression d'apprendre un plan social en direct en regardant Sarkozy», raconte une journaliste. Les craintes ? La privatisation d'une ou plusieurs chaînes, voire leur fermeture pure et simple. Le budget réduit à peau de chagrin. Le tout sur fond de cadeau à TF1, la chaîne de l'ami intime de Sarkozy. Mais que faire ? Difficile pour les salariés du service public d'aller manifester dans la rue avec des banderoles «On veut de la pub !» «On ne va pas se battre pour défendre la pub, on va se battre pour avoir du pognon», déclare un reporter. Un participant prévient : se passer de réclame, c'est être «100 % dépendant du pouvoir politique». Une journaliste se gratte la tête : «Philosophiquement, c'est très compliqué.» Et comment agir ? «On ne va quand même pas attendre d'être privatisés et d'avoir la moitié de notre budget pour faire quelque chose !», peste un journaliste.

Au milieu de l'AG, un salarié s'exclame : «Est-ce qu'il n'est pas temps de remuer le cocotier ?» Le président de la SDJ, Nicolas Chateauneuf prend un téléphone pour parler à Carolis. Les salariés veulent qu'il vienne s'expliquer. Mais le président de France Télévisions est en rendez-vous à l'extérieur. On apprendra plus tard qu'il était avec François Fillon. Coup de fil à son second Patrice Duhamel. «Je comprends totalement l'inquiétude, déclare-t-il à l'AG par haut-parleur interposé, mais est-ce qu'elle peut attendre demain ?»«NOOOON !», hurle l'AG. Il accepte de venir à 17 heures et Patrick de Carolis, qui ne s'était pas déplacé pour rencontrer les 300 employés de la régie pub promis au chômage technique, sera là, preuve de l'urgence.

«Expliquer aux gens». En attendant, les journalistes évoquent des pistes : «Il faut expliquer aux gens quel est notre travail, leur dire qu'on est la chaîne d'un OEil sur la planète, de Complément d'Enquête.»On parle de publier des tribunes dans les journaux, de créer un site web.

«En travers de la gorge». A 17 heures, ce sont 400 salariés qui sont là pour écouter Carolis. Il vient avec un atout dans sa manche. Il a reçu des «assurances» de François Fillon : «France Télévisions conservera la totalité de son périmètre actuel» et la «compensation financière [.] sera intégrale.» Les salariés s'insurgent : «Comment pouvez-vous croire le gouvernement ?»Carolis plaide qu'il faut s'asseoir à la table des négociations pour avoir son mot à dire. Pour Karine Comazzi, vice-présidente de la SDJ, «l'exercice de style était difficile,il était obligé de défendre un truc qu'il a en travers de la gorge». Certains sont rassurés. Peu. La majorité doute : «On est très dubitatifs sur le financement, indique Karine Comazzi, on voit mal comment ils vont trouver l'argent.» Un journaliste résume le sentiment général : «C'est de l'enfumage complet.»

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