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Libération

«La tendance est aux jeux sur mobile et réseau social»

par Olivier Seguret
publié le 28 février 2011 à 12h25

Michael Morhaime et Frank Pearce (ainsi qu’Allen Adham) ont fondé Blizzard Entertainment en 1991. Vingt ans après, ils sont toujours là et tentent de cerner l’avenir du secteur du jeu vidéo.

Le fameux Dice Summit (cycle de conférences haut de gamme sur le jeu vidéo) vient de s’achever à Las Vegas. La provocante game designer Jane McGonigal a appelé «the gamer regret» ce sentiment, trop répandu selon elle, que le joueur perdait son temps et qu’il fallait lutter pour une plus grande fierté des gamers. Qu’en pensez-vous ?

Sa conférence était très importante parce qu’elle insiste sur des points très justes et trop négligés. Il faut sans doute affirmer davantage que les jeux peuvent être très gratifiants quand on en partage l’expérience ou les plaisirs. C’est bien sûr une question d’équilibre personnel à trouver pour chacun. Et il n’est recommandé à personne de consacrer la totalité de son temps disponible à une activité unique, quelle qu’elle soit. C’est une question valable pour tous, dans tous les domaines. Nous pensons quand même que les choses évoluent rapidement.

Devenu de plus en plus mainstream , le jeu a vu dernièrement sa diffusion encore accélérée par l'essor du casual gaming , qui a beaucoup dédramatisé la perception du jeu vidéo. Du coup, on voit aussi apparaître de nouveaux comportements, de nouveaux rapports avec ce média. Dernièrement, quelqu'un m'a déclaré : «Oh non, je ne suis pas ce qu'on appelle un gamer, je ne joue qu'à World of Warcraft, quelques heures, du lundi au vendredi.» Indiscutablement, jouer est de moins en moins vécu comme une activité honteuse ou clandestine. On s'affiche joueur, on en est plus volontiers fier. Nous, on constate très clairement ces évolutions au cours des conférences publiques que nous organisons à destination des fans ou des amateurs de nos jeux [les fameuses BlizzCon, ndlr] , qui attirent toujours plus de monde (1).

Mais paradoxalement, la clé de ce problème de perception est entre les mains des non-joueurs… Il est tellement facile, lorsque l’on n’a jamais joué, de penser les choses incorrectement. Les clichés sur la destruction du lien social ou la perte du temps sont des problèmes de non-gamers, et il est très difficile de lutter contre ce discours lorsqu’il émane de gens n’ayant jamais joué.

On ne perd pas davantage son temps face à un jeu que face à un film ou une série télé, dites-vous. Mais vous êtes néanmoins en compétition avec ces deux autres formes d’ entertainment lorsqu’il s’agit d’attirer l’argent ou, justement, le temps des mêmes consommateurs.

Nous sommes devenus une industrie très puissante, si forte que de nombreux jeux rapportent désormais plus d’argent que beaucoup de blockbusters. Hollywood a parfaitement pris conscience de cela, et le plus grand défi auquel l’industrie du jeu doit désormais faire face est cette compétition pour capter l’attention d’un public qui partage son temps entre cinéma, DVD, séries télé et jeux vidéo. Cela nous oblige à inventer, à imaginer de nouvelles façons d’approfondir et de diversifier les expériences auxquelles le jeu peut convier. Nous n’avons pas d’autre choix que celui de la créativité. Notre chance est que cette industrie est encore très jeune et que les mutations incroyables qui ont été accomplies ne sont rien comparées à celles qui vont continuer à se produire.

Lorsque vous observez le paysage du jeu vidéo à l’extérieur de la bulle Blizzard et de ses produits, quel sentiment avez-vous? Quel genre de jeux aimez-vous ?

En revenant du Dice Summit, justement, j'ai joué à Angry Birds dans l'avion… La tendance forte du moment est incontestablement celle des jeux sur mobile et sur réseau social. La courbe qui voyait les coûts de développement croître éternellement est enfin stoppée. Cela ne remet pas en question les grosses productions, mais laisse une place infiniment plus vaste aux petits développeurs indépendants. Les développements sont moins complexes techniquement et moins chers. Et c'est une chose saine pour l'industrie que se développent toutes sortes d'écosystèmes. Le modèle Blizzard est excellent, mais des tas d'autres peuvent être aussi rentables. Cette tendance ne remet pas en cause les productions AAA, mais ouvre les portes à de nouveaux créateurs.

Et dans vingt ans, à quoi ressemblera Blizzard selon vous ?

Quand on voit le rythme extravagant auquel progressent les technologies informatiques, il est déjà difficile de se faire une idée du paysage dans trois ans. Alors dans vingt… On peut tracer des lignes, voir quelques tendances. Beaucoup des barrières traditionnelles sont en train de se lever : la vitesse des processeurs, le stockage de données, l’augmentation de la bande passante… Nous ne rencontrons qu’une seule vraie limite : notre imagination !

Les jeux seront nécessairement plus profonds, plus persistants, imbriqués dans des réseaux sociaux ayant eux-mêmes beaucoup évolué et gagné du terrain. Tout est allé et tout ira si vite ! Blizzard devra sans doute apporter des choses à des publics qui prennent des habitudes plus casual . Par exemple, faire en sorte que jouer soit aussi simple que d'allumer la télé. Les jeux que nous faisons sont grands et gros. World of Warcraft , notamment, prend vingt minutes d'installation. On voudrait rapporter cela à un clin d'œil. C'est pourquoi nous misons beaucoup sur le «cloud» , le nuage de serveurs en réseau, mais nous devons aussi garantir la protection et l'intégrité des jeux et des données de nos clients.

Je suppose que vous n’avez pas de scoop mondial hystérique à offrir aux lecteurs de Libération concernant la date de sortie officielle et définitive de Diablo III ?

Hélas non. Juste vous confirmer que nous mettons tout en œuvre pour que le jeu sorte cette année. Le développement est techniquement achevé. Nous sommes en phase de testing interne et de recensement de feedback . Oui, il a de bonnes chances de sortir avant la fin 2011, mais il nous est impossible aujourd'hui de vous le garantir.

(1) Les dates de la prochaine BlizzCon viennent d’être annoncées : elle se tiendra les 21 et 22 octobre au Convention Center d’Anaheim (Californie). Au programme : démonstrations des jeux Blizzard en développement, conférences avec les développeurs, concours, tournois, produits dérivés, etc.

Paru dans Libération du 25/02/2011

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