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Libération

«La viralité est à la fois la force et la faiblesse de Facebook»

par Christophe Alix
publié le 20 août 2012 à 16h11
(mis à jour le 20 août 2012 à 16h11)

Christian Parisot est chef économiste chez Aurel BGC, une société de Bourse parisienne. Spécialiste des valeurs technologiques, il démontre la fragilité du modèle Facebook et explique pourquoi la bulle des réseaux sociaux ne peut pas être généralisée à tout Internet.

Quel est problème avec Facebook ?

Comme lors de la bulle des années 2000, les investisseurs ont fait une grosse erreur. Ils ont confondu audience et rentabilité. Facebook est un colossal succès d’audience qui ne se dément pas puisque le nombre de membres, qui continue de croître, se rapproche du milliard. En revanche, c’est un échec en ce qui concerne la monétisation de cette audience: l’entreprise gagne à peine 5 dollars (4 euros) par an par membre, or la valorisation lors de l’introduction en Bourse s’est faite sur une base de 100 dollars par membre! On est très très loin du compte.

Les usages de Facebook sont-ils propices à la diffusion de messages publicitaires ?

Ils sont plutôt tournés vers la sphère privée et sont donc moins favorables à la publicité que les liens sponsorisés proposés par Google. Sur les moteurs de recherche, la publicité qui m’est proposée est directement en lien avec ma recherche. Si je fais une recherche sur Marrakech, il n’est pas idiot de considérer que je suis susceptible d’y aller, et donc de rechercher un billet d’avion bon marché ou une chambre d’hôtel en ligne. Rien de tel avec Facebook, où le fait de partager des photos avec des amis ne me prédispose pas à être sensible à des bandeaux publicitaires généralement sans rapport avec ce que je suis en train de faire. General Motors a récemment renoncé à faire de la pub sur Facebook. Il la jugeait inefficace et s’est rendu compte qu’elle était également nuisible à son image…

Le développement des usages d’Internet sur le mobile au détriment du PC handicape-t-il Facebook ?

C’est l’autre gros problème de Facebook, les gens sont de moins en moins sur leur ordinateur et de plus en plus sur des smartphones et des tablettes. Lors de la présentation des derniers résultats, Mark Zuckerberg a reconnu que Facebook ne savait toujours pas comment faire de l’argent avec ces nouveaux usages et qu’il attendait les propositions des ingénieurs qu’il avait recrutés pour y parvenir. Un aveu d’impuissance.

Comment une société comme Facebook n’a-t-elle pas vu venir ces nouveaux usages ?

A la différence de Google et d’Apple, qui ont développé leurs propres systèmes d’exploitation sur mobile et fonctionnent comme une sorte de péage obligé pour les développeurs d’applications et les vendeurs de publicité, le modèle de Facebook présente peu de barrières technologiques à l’entrée. Certes son audience est colossale, mais elle est fragile, et il suffit que mes amis commencent à se désinscrire de Facebook pour que je sois aussi tenté de le faire. Cette viralité très forte est à la fois la force et la faiblesse du modèle.

_ D'autres plateformes de contenu avant Facebook -- comme Netscape , Lycos ou AOL -- ont connu une croissance folle avant de voir les internautes s'en détourner à la même vitesse.

Quelle réponse l’entreprise peut-elle apporter aujourd’hui pour rassurer les investisseurs ?

Le danger, c'est qu'à vouloir transformer un modèle 100% gratuit en un modèle mixte avec des services payants, Facebook risque de faire fuir des membres qui n'ont jamais imaginé payer pour la fréquentation d'un réseau social. Les concurrents comme Pinterest sont là pour ramasser la mise, même si le même problème de monétisation se posera pour eux. Bien qu'il ait acheté un site très prometteur comme Instagram , on voit bien à quel point il est difficile pour Facebook de trouver un moyen de se rémunérer avec la photo. La vraie question, c'est combien les gens sont prêts à payer. Et, pour l'instant, la réponse est : «très peu».

Que se passera-t-il si l’action continue de dégringoler en Bourse ?

La conséquence la plus fâcheuse sera la fuite des cerveaux de chez Facebook. Les développeurs de talent viennent chez Facebook pour gagner le maximum d’argent. Quand les actions qu’on leur distribue pour les attirer se déprécient jour après jour, ils s’en vont. La valorisation de Facebook est d’ailleurs encore élevée, autour de 58 années de bénéfices, contre 18 pour un Apple dont le modèle économique est autrement plus robuste. Si le cours de Facebook ne se redresse pas, ses salariés iront se vendre ailleurs, ce qui amenuisera la capacité d’innovation de Facebook. Un cercle vicieux peut s’enclencher très vite.

La bulle Facebook est-elle annonciatrice d’une nouvelle bulle Internet?

Il ne faut pas généraliser. A l’image d’Amazon, la plupart des grandes entreprises du commerce électronique se portent très bien. Le modèle Google, centré autour de la monétisation de la recherche, est très solide. Et des réseaux sociaux professionnels comme LinkedIn se portent bien mieux que Facebook. Le problème, c’est la monétisation de modèles basés intégralement sur l’audience et qui dépendent exclusivement de la publicité, comme Facebook. C’est très bien de lancer des concepts météoriques pour attirer le capital-risque, encore faut-il avoir une stratégie pour les rendre viables sur le long terme.

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Publié dans «Libération» des 18 et 19 août 2012.

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