Critique

Lascar face

Ghetto. L’autoproduit «African Gangster» de Jean-Pascal Zadi revisite le genre mafieux en direct du 9-3. Rugueux.
par Didier Péron
publié le 30 juin 2010 à 0h00

Ne cherchez pas frénétiquement dans quelle salle passe African Gangster, il n'est projeté nulle part, on le trouve en DVD dans les magasins de rap et il est téléchargeable ici et là sur Internet, plus ou moins légalement. Il s'agit d'un film produit en indépendant pour 15 000 euros et mettant en vedette le rappeur hardcore Alpha 5.20 dans le rôle d'un migrant sénégalais qui débarque à Paris et ne tarde pas, après un mois de plonge mal rémunérée, à se faire une place de choix dans le trafic de stupéfiants.

Milieu. Le film est coproduit et réalisé par Jean-Pascal Zadi (dit JP), qui avait déjà signé en 2008 Cramé (lui aussi sorti directement en DVD avec pour cible un public amateur de rap) et cette année encore un Sans pudeur ni morale qu'il compte pouvoir sortir en salles. Musicien et réalisateur de clips (pour Oxmo Puccino, Mokobé), Zadi, 30 ans, né à Bondy, a tourné son African Gangster en trois semaines avant de passer neuf mois à peaufiner le montage et le mixage.

Le récit est simple : Ousman (Alpha 5.20) est hébergé par son caïd de cousin, Yaya (le rappeur Doudou Masta, vu dans la série la Commune sur Canal +), qui doit du fric à un fournisseur. Yaya se fait descendre et Ousman reprend ses affaires en main avec son pote Guim's Soutou, mais l'un et l'autre vont comprendre que le commerce lucratif de la dope ne les exonère pas de la loi du milieu, qui veut que toute dette impayée entraîne une guerre autodestructrice des clans entre eux. Scénario de film de mafia classique, mais l'approche de Zadi, avec ses acteurs essentiellement non professionnels, apporte fraîcheur et véracité à un genre largement dominé par la mythologie américaine. C'est d'ailleurs ce qui surprend ici, à quel point l'esthétique «gangsta» est mise à plat, dépouillée de tout le romantisme décadent que l'on attache d'usage à la figure du grand criminel et dont Scarface demeure en banlieue le modèle insurpassable. Zadi : «Mes références, c'est Touchez pas au grisbi et Mélodie en sous-sol, Gabin et Ventura. J'imagine que ça ne saute pas aux yeux parce qu'on est tous noirs. Mais le style, pour nous, est 100% français.»

«Nutella». Le film est d'ailleurs moins fondé sur l'action que sur les dialogues qui mixent le franc-parler rap et l'humour à froid des joutes verbales de Michel Audiard. Par exemple, parmi quelques moments un peu saisissants : «C'est pas des p'tits pédés qui ont eu du Nutella au petit déjeuner toute leur vie qui vont me mettre la pression.» Ou encore : «Tu me pisses dessus et tu veux me faire croire qu'il pleut ?»

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