Le CSA flagelle, les télés flageolent

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 11 mars 2010 à 12h01

Vous me copierez cent fois le texte suivant : «Communiqué du Conseil supérieur de l’audiovisuel…» Sûr que TF1 et Canal + préféreraient tailler leurs crayons et tirer la langue pour recopier le texte que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) leur a livré hier matin. A la place, elles vont devoir faire lecture de leur punition devant leurs téléspectateurs, et que ça saute ! Elles ont un délai de huit jours pour faire pénitence, sinon…

Depuis que le CSA a décidé, en février, que les chaînes seraient condamnées à lire à l'antenne la liste de leurs erreurs, la baston est ouverte . Premières concernées : TF1 et Canal +. La Une pour trois fautes dans ses JT : l'image d'un tueur allemand qui n'était pas le bon ; une manifestation de musulmans où, selon le commentaire, hommes et femmes étaient séparés, ce qui n'était pas le cas ; et, enfin, le vote de la loi Hadopi illustré par des images d'un hémicycle plein à craquer alors qu'en réalité, seuls 16 députés étaient présents.

Côté Canal, l’erreur vient de Dimanche + qui, pour illustrer l’international foutage de gueule au sujet de l’élection de Jean Sarkozy à la tête de l’Epad, s’appuyait sur des extraits de JT étrangers. Las, l’un d’eux était une parodie glanée sur Internet. Outre ces deux bonnets d’âne, ne sauraient tarder l’épinglage de M6 (bernée par les mêmes images que Canal +) et celui -- dans les tuyaux -- de France 2, pour l’annonce erronée de la mort du jeune Enis, même si la chaîne avait rectifié quelques minutes après.

Pour le CSA, il n'y a pas de rectificatif qui tienne (Canal + avait elle aussi corrigé son erreur ), car la sanction n'est décidée qu'à la suite d'une série de mises en garde : «Cet épisode ne vient qu'après d'autres» , indique-t-on au sein de l'instance. Une précision qui est mentionnée dans le texte que les chaînes vont devoir lire à l'antenne (voir ci-dessous le texte de Canal +, dont Libération a eu copie). Un texte définitif, fruit d'un aller-retour houleux entre les chaînes et le CSA ces dernières semaines, et qui, par rapport à une première mouture proposée par le conseil, précise la teneur de l'erreur à la demande des télés. «La première version jetait le discrédit sur toute l'info de la chaîne en ne précisant pas à quoi exactement le CSA faisait allusion. Là, au moins, on sait de quoi on parle» , se console-t-on dans l'une des chaînes. Au CSA, où l'on risquait un recours juridique devant le Conseil d'Etat si l'on avait pas apporté ces modifications, on rit sous cape : «À force, ce texte devient roboratif. Si ça continue, il va faire deux pages…»

On ricane, on ricane, mais en fait, des deux côtés, on ne se marre pas tant que ça. D'ailleurs, pour éviter toute rigolade intempestive à ses dépens, le CSA a cru bon de préciser que le communiqué «sera clairement lu par un présentateur. Il ne sera accompagné d'aucun commentaire écrit ou oral» . Message reçu à Canal + : pas de «poil au nez» (ou ailleurs) après la lecture du texte. Message reçu à TF1, où Jean-Pierre Pernaut, qui avait refusé de lire la première mouture du communiqué, sera bien avisé d'acquérir un extracteur pour la fumée qui lui sort des naseaux.

Hier, le CSA a tenté de calmer le jeu en invitant cette chouette bande de copains à faire un pow wow pour réfléchir à l'utilisation des images. Rachid Arhab, spécialiste de la déontologie au CSA a précisé à l'AFP que la sanction «n'est ni un coup de tête ni un coup de sang» , et qu'elle repose sur «un constat très négatif» : 76 dossiers de manquement ont été traités en 2009, contre 35 en 2008.

Du côté des chaînes, c'est Rodolphe Belmer, directeur général de Canal +, qui est sorti du bois, pestant auprès de l'AFP contre la sanction «étonnante, choquante et disproportionnée» qui «crée un précédent unique dans les médias» . Au passage, Canal + ne pourra faire lecture du texte dans le délai fixé par le CSA, vu que les deux prochains numéros de Dimanche + sont supprimés pour cause d'élections régionales. En coulisses, les propos des chaînes se font plus virulents encore et on conteste à l'Etat le droit de s'immiscer «dans ce qui est vrai ou non en matière d'information» . Mieux, toute cette agitation ne serait qu'un prétexte : «Les politiques ont décidé de se faire les médias et leur instrument, c'est le CSA.»

«L’information était inexacte»

Libération s'est procuré le texte que Canal + devra lire à l'antenne :

«Communiqué du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Dans l’émission Dimanche + du 18 octobre 2009, Canal + a diffusé un montage parodique, issu d’Internet, en le présentant comme un extrait authentique d’un journal télévisé allemand relatif à l’élection du président de l’Epad. L’information ainsi donnée était inexacte. Une précédente erreur, l’utilisation d’émeutes à Madagascar pour illustrer un sujet sur la Guadeloupe, ayant été commise le 17 février 2009 dans un journal de la chaîne, le Conseil supérieur de l’audiovisuel impose la lecture de ce communiqué. Il rappelle que les chaînes de télévision sont tenues à l’obligation de rigueur dans le traitement de l’information.»

Paru dans Libération du 10 mars 2010

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