Le Net tourne une page du livre ancien

La vente sur le Web est au centre des débats au Salon du Livre ancien et de l'Estampe qui se tient à Paris.
par Christophe Alix
publié le 27 avril 2007 à 10h28

Quel est le rapport entre une édition originale de la Peste d'Albert Camus, «demi-maroquin gris anthracite à coins, titre et date dorés au dos à nerfs» à 2 400 euros, et le monde dématérialisé de bits et de pixels d'Internet ? Naguère, la réponse aurait été «aucun» et aurait fait se gausser tout bibliophile qui se respecte sur le mode «vous n'y songez même pas, l'ogre numérique ne passera pas par nous». Sept ans plus tard, ce genre d'ouvrage et d'autres bien plus rares ­ donc bien plus chers ­ font les vitrines des «cyberlibraires» de tout poil qui ont fleuri sur la Toile et redessiné les contours de cette très vieille et respectable profession.

De ce «to be sur Internet ou not to be» , comme le dit un libraire, il sera certainement beaucoup question en cette fin de semaine dans les travées du Grand Palais (1). Jusqu'à dimanche, le livre ancien y tient salon, sans ordinateurs ni commerce électronique, mais les débats promettent d'être vifs sur un sujet qui bouleverse et divise la profession.

Organisateur de la manifestation, le Slam (Syndicat de la librairie ancienne et moderne) en a profité pour sonder l'appétence électronique du secteur. Cette association qui réunit la crème d'un métier encore très parisien et masculin, allant du grand libraire des beaux quartiers au bouquiniste, a recueilli l'avis de 432 professionnels (sur environ 1 500 en France). Le verdict est clair : 16,7 % voient dans la vente sur Internet la mort du métier, 4,7 % seulement son avenir radieux, et l'immense majorité, 78,6 %, une évolution inévitable. «La question de savoir si l'on est pour ou contre le Net n'a plus aucun sens, c'est un combat d'arrière-garde, explique un libraire oeuvrant dans la littérature enfantine. Par contre, c'est la conception du métier, qui n'est pas que commercial, qui est menacée. Etre libraire ou chercher à vendre le maximum de livres en ligne, ce n'est pas exactement la même chose.»

Bien plus que les autres commerces d'art et de collectionneurs, comme les antiquaires également touchés par le phénomène, c'est l'arrivée de gigantesques places de marché électroniques qui a bouleversé le monde longtemps paisible des bibliophiles. Généralistes comme eBay ou spécialisées comme Galaxidion , Livre-Rare-Book , Chapitre ou le canadien Abebooks , leader mondial du livre ancien et rare avec 100 millions de livres en stock revendiqués et 13 500 libraires affiliés, ces sites sont devenus une nouvelle source pour s'approvisionner et écouler la marchandise.

«Autrefois, il fallait parfois chiner des années pour réunir une sélection d'ouvrages pour un catalogue, témoigne Henri Vignes, libraire parisien. Aujourd'hui, plus personne ne chine car on trouve absolument tout en ligne, c'est inouï.» Si la plupart des libraires interrogés considèrent comme une chance l'extension considérable d'une offre disponible à l'échelle de la planète, ils craignent en revanche que l'uniformisation du marché qui en découle ne finisse par l'appauvrir. «Les goûts de la clientèle en ligne, souvent plus jeune et moins argentée, sont plus faciles à cerner, poursuit un spécialiste des livres d'histoire qui évalue à environ 20 % le transfert d'activité des libraires sur le Net. Résultat, tout le monde cherche à vendre la même chose et au même prix ; et notre métier, hier prisé pour sa diversité et la possibilité d'y faire de vrais bons coups, devient moins marrant.»

Plus grave, l'irruption d'Internet dans le papier ancien donne également lieu à l'arrivée de nouveaux marchands guère au goût de la profession. Des «bidouilleurs du dimanche» , comme les appelle un ancien président du Slam , accusés de ternir l'image du métier et de se livrer à une concurrence déloyale en ne déclarant pas leurs activités en ligne. Présents sur des sites ouverts aux professionnels comme aux particuliers, ces vendeurs anonymes seront persona non grata sur le nouveau site «100 % professionnel» que va lancer le Slam. Un site qui aura fort à faire pour s'imposer face aux mastodontes du Net devenus en quelques années les nouveaux rois du commerce d'éditions originales et, qui sait, un jour, d'incunables.

Salon du Livre ancien et de l'Estampe

_ Jusqu'au 29 avril, de 11 h à 20 h

_ Au Grand Palais

_ Avenue Winston-Churchill, 75008 Paris.

_ Entrée : 8 €.

_ www.salondulivreancienparis.fr

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