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Libération

Le Web prend de l’auteur

par Sophian Fanen
publié le 18 décembre 2012 à 13h04
(mis à jour le 18 décembre 2012 à 13h05)

Disons-le tout de suite, cet article n’est pas distribué sous une licence Creative Commons. Si c’était le cas, on choisirait la CC-BY-NC, qui permet une réutilisation non-commerciale et autorise la modification et la reprise partielle d’une création par qui veut en ligne.

Le principe des Creative Commons (CC, pour les intimes), qui fêtaient hier leurs dix années d'existence, est assez simple : elles répondent à la circulation tous azimuts des créations sur Internet (musique, vidéo, photo, texte…) en proposant d'y accrocher une déclaration de propriété et des conditions de réutilisation souples.

Créées sur le modèle des logiciels libres du projet GNU, pensé par Richard Stallman au début des années 80, les Creative Commons existent à côté d'autres licences dites libres, comme GPL ou Art libre . Celles-ci sont parfois plus restrictives, là où les CC permettent le commerce rémunéré autant que l'échange informel. L'important, ici, est que la paternité d'une œuvre soit toujours respectée.

En une décennie, ces licences CC se sont ainsi lentement disséminées, jusqu'à atteindre les portes du grand public aujourd'hui. «Quand j'ai rejoint Creative Commons France il y a neuf ans, on pensait que c'était un projet pour les chercheurs, notamment pour permettre une diffusion des travaux effectués dans le public , raconte Mélanie Dulong de Rosnay, chargée de recherche au CNRS et responsable juridique de CC France. Mais, très rapidement, on a eu des contacts avec des artistes, des éditeurs… Aujourd'hui, les questions ont évolué et sont devenues plus techniques. Il faut encore beaucoup de pédagogie et d'éducation» , mais les licences libres sont entrées dans l'âge mûr.

On croise ainsi de plus en plus de réalisateurs, de photographes amateurs ou pros (sur le site Flickr notamment) qui choisissent une licence Creative Commons pour encadrer la circulation de leurs créations sur Internet, partant de l’idée que celles-ci circuleront de toute façon. En 2009, l’encyclopédie Wikipédia a, elle aussi, décidé de placer l’intégralité de son contenu sous licence CC-BY-SA. Deux ans après, c’est la plateforme de vidéos YouTube qui s’est convertie à son tour.

La Sacem elle-même, vénérable maison chargée de la collecte et de la redistribution des droits des auteurs de musique, a lancé en janvier 2012 un partenariat avec Creative Commons. Un musicien peut donc désormais déposer sa musique à la Sacem sous licence CC pour l’ensemble des usages non-commerciaux (blogs, réseaux sociaux, peer-to-peer en théorie…). Dans le cas d’une diffusion à la radio ou dans un film, par exemple, l’œuvre retrouvera ses droits «classiques» et les revenus prévus.

Avec «530 œuvres» déposées en un peu moins d'un an par 45 sociétaires, sur quelque 150 000 dépôts au total, «l'usage des CC reste très marginal» , commente aujourd'hui Jean-Noël Tronc, le directeur général de la Sacem. «Mais c'est un mouvement qu'il faut soutenir, une façon d'acter que les licences libres sont un modèle de promotion intéressant.»

Carine Adsuar joue dans les Bubblies, un groupe toulousain actif depuis vingt ans, qui a décidé de «faire basculer tout son catalogue Sacem en Creative Commons dès que cela a été possible. On a toujours voulu que notre musique circule, on considère que le piratage n'est pas que négatif.

Mais les CC ne sont qu'une partie de la solution pour les artistes. Elles permettent de clarifier les échanges désintéressés, de laisser nos fans partager légalement une chanson. Pour le reste, il faut revenir au vieux système si on veut rester à la Sacem.» C'est-à-dire le droit d'auteur, qui considère que tout usage d'une œuvre mérite rémunération et que le reste est illégal.

L'initiative encore rigide de la Sacem montre bien les difficultés qui restent à contourner aujourd'hui, pour fondre les licences Creative Commons et la vieille économie. «Nos artistes doivent encore faire un choix, comme si les deux philosophies étaient incompatibles» , regrette ainsi Pierre Gérard, cofondateur de Jamendo, l'une des principales plateformes de distribution de musique sous licence CC.

Mais les Creative Commons diffusent peu à peu, dans tous les secteurs, un nouveau regard sur la propriété intellectuelle, désormais différenciée de la propriété physique. Ces licences pourraient ainsi jouer un rôle central dans la réflexion sur le piratage. «Comme les logiciels libres n'ont pas tué Microsoft, les licences libres ne remplaceront pas le droit d'auteur tel qu'on le connaît , continue Pierre Gérard. Il y a de la place pour un monde de l'échange à côté du monde commercial.»

Paru dans Libération du 17 décembre 2012

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