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Libération
Interview

Le croisé des mondes

par Erwan Cario
publié le 15 novembre 2007 à 1h30

Il s'appelle Altaïr. Et c'est un assassin, en 1191, lors de la troisième croisade. Entre Damas, Jérusalem et Saint-Jean-d'Acre, il va devoir éliminer, sous les ordres du maître de la secte des Hashshashins, neuf personnalités en vue. Il va devoir le faire pour se racheter, lui, le maître assassin devenu trop arrogant et trop égoïste. Déchu de son titre, il va regagner peu à peu ses galons. Il arrive sur Damas à cheval, par les montagnes. Il s'arrête sur une corniche qui surplombe la ville. C'est magnifique. En appuyant sur le bouton X de la manette, le joueur cabre le cheval. Comme ça, pour rien, juste parce que c'est encore plus la classe. Et parce qu'il faut marquer ce moment où on se rend compte qu'on n'est pas dans un jeu vidéo comme les autres.

Lui s'appelle Patrice Désilets. Il a réalisé Assassin's Creed depuis les studios montréalais d'Ubisoft. A 33 ans, il a dirigé une équipe de plus de 150 personnes sur quatre ans pour aboutir à ce voyage dans le temps. Sans doute le jeu le plus impressionnant de cette fin d'année sur consoles. Patrice Désilets a débarqué dans le jeu vidéo un peu par hasard. Après ses études en cinéma, il prend une année sabbatique. Motivé par des aménagements fiscaux pour le secteur du jeu vidéo, Ubisoft vient de s'installer à Montréal et recrute. «J'ai envoyé mon CV et j'ai dit que j'étais scénariste, se souvient-il. Ce n'était pas complètement faux. J'écrivais un long-métrage avec un copain.» Il fait ses armes de créateur sur deux petits jeux avant de s'attaquer, en 2003, à la montagne Prince of Persia. La licence, qui date de la fin des années 80, est poussiéreuse. Et le lifting est très réussi. Ubisoft décide de lâcher la bride à ce créateur prometteur. Un sourire aux lèvres, il raconte : «Pour le jeu suivant, j'ai reçu un mandat de la maison mère, à Paris : redéfinir le genre action/aventure sur les consoles de prochaine génération.»

«Ruée vers l'or». Altaïr escalade une façade jusqu'aux toits, utilisant la moindre prise disponible. Un archer est là pour surveiller la zone. Mais il a le dos tourné. L'assassin court, sort sa lame et saute sur sa proie. Changement de caméra, la scène passe en contre-plongée. D'un coup dans la gorge, il exécute sa victime, tombée à terre. Des toits, le héros encapuchonné atteint les contreforts de la cathédrale. Il grimpe ensuite sur le clocher et se place au-dessus de la croix. Il domine la ville médiévale. Le joueur a du mal à en croire ses yeux. Il a du mal à comprendre, aussi, comment un jeu vidéo a pu produire quelque chose d'aussi grandiose. Alors il reste là, au sommet de la cathédrale de Saint-Jean d'Acre. La mission attendra. «Le médium du jeu est en fait la machine à voyager dans le temps, explique Patrice Désilets. On s'est beaucoup concentré jusqu'ici sur la Seconde Guerre mondiale. Mais il y a plein d'autres belles époques à visiter.» Quand on écoute ses envies, on ne rêve que d'être face à son écran, un pad en main : «La révolution française ! Sentir le truc, être là. J'aimerais aussi faire un jeu, Kanada, sur toutes les grandes explorations françaises. Des forêts à perte de vue, des lacs immenses. J'ai une autre idée, ça s'appelle San Francisco. Se balader en 1890 au milieu des cow-boys pendant la ruée vers l'or.»

Inédit. Son assassin, il l'a imaginé après avoir lu un petit livre sur les sociétés secrètes. Le premier chapitre parle des Hashshashins. «De toutes les sociétés secrètes, c'est celle qui m'avait le plus marqué : le vieil homme dans la montagne, le mythe du paradis, les assassins qui se lançaient dans le vide.» Le jeu commence avec un avertissement inédit dans le jeu vidéo : «Cette oeuvre a été conçue par une équipe multiculturelle de croyances et de confessions diverses.» Patrice Désilets le justifie : «On l'a mis parce que ça peut être un sujet sensible. Certains médias ont déjà comparé Al-Qaeda avec la secte des Assassins. Et puis, surtout, parce que c'est vrai ! C'est une équipe internationale, qui croit en différentes choses. On est 150, on rit ensemble, on s'engueule, on travaille et on finit par faire une oeuvre ensemble. Et pendant ce temps, certains font la guerre parce que leur livre est différent de celui de l'autre.»

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