Le débat du débit pour les délaissés de l'ADSL

par Catherine Maussion
publié le 24 juin 2011 à 16h19

Ils se chiffrent en millions. Ils ont constitué des collectifs. Net-IKI dans le Haut Jura, les «délaissés» , dans le Limousin, les «oubliés» de l'ADSL de Lapeyrouse-Fossat (Haute-Garonne). Ce sont les laissés-pour-compte du haut-débit. Privés de connexion rapide (ils ont 2Mbps dans le meilleur des cas) quand ce n'est pas d'ADSL tout court, parce qu'ils se trouvent «en bout de ligne» , c'est-à-dire loin des répartiteurs, les centraux téléphoniques de France Télécom, ou encore parce que leur commune n'est pas reliée par la fibre au réseau internet.

À entendre l'Arcep -- le régulateur des télécoms --, leur calvaire est terminé. Il y a juste une semaine, l'Autorité a publié sous la forme d'une recommandation ( ici en PDF ) la dernière brique d'une règlementation qui lève les derniers obstacles aux investissements. La clarification, d'ordre technique et financier, donne le mode d'emploi aux collectivités locales et aux opérateurs qui voudraient investir. Sauf que les premières réactions sont plutôt hostiles.

L'Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel) critique vivement le schéma. Patrick Vuitton, son délégué général, s'interroge sur la facture pour les collectivités locales: «les collectivités vont devoir payer les travaux» , et la note devrait être particulièrement salée: «on va être obligé de subventionner France Télécom mais aussi tous ses concurrents pour que notre administré ait le choix de son opérateur!» Et de conclure: «encore une fois ce vont être les communes les plus pauvres qui vont être obligées de payer pour avoir quelque chose qui sera moins bien que la fibre optique...»

Illustration en quelques chiffres. L'Avicca évalue entre 120000 à 150000 euros la résorption de chaque point noir, pour améliorer le débit de quelques dizaines d'abonnés à deux cents au mieux. Calculette en main, le délégué chiffre la facture autour d'un millier d'euros minimum par abonné, à la charge du contribuable. Pour booster le débit, l'Arcep préconise l'installation d'équipements au niveau du sous-répartiteur, le dernier jalon du réseau de l'opérateur, situé entre le répartiteur et l'abonné. L'Avicca estime à 30000 au moins le nombre de ces points critiques -- desservant 8 millions d'abonnés -- qu'il va falloir, en outre, relier par de la fibre au réseau internet... Soit une facture pour «une montée en débit raisonnable» (soit 2 Mbps) de 2 milliards d'euros, selon l'Avicca.

Zoom sur le terrain, en Seine-et-Marne et réaction à chaud de Bertrand Caparroy, vice-président du Conseil général de Seine-et-Marne: «on nous prend pour des vaches à lait !» . Et tout cela, dénonce t-il, au bénéfice principalement du propriétaire du réseau. En clair, France Télécom. «C'est nous qui allons payer et lui qui va ramasser la mise.» La Seine-et-Marne, bien qu'en île de France, compte nombre de «zones d'ombre» , hameaux ou exploitations agricoles, éloignés du bourg. Comme le canton de Louan-Villegrais-Fontaine (près de Provins). «C'est aussi grand que le Val-de-Marne, mais il n'y a que 9000 électeurs. On va être obligé à certains endroits de creuser 10 kilomètres de tranchées [pour faire passer la fibre]. Tout ça pour desservir une dizaine seulement de foyer!» Certes, la commune sera rémunérée pour son investissement. Mais trop peu, au goût de l'élu. Et de critiquer la règlementation du régulateur: «oui, il a déblayé les obstacles, mais à quelles conditions pour nous!» Dans son collimateur, la méthode retenue pour favoriser la concurrence: «elle a donné les zones rentables aux opérateurs privés, et aujourd'hui, elle nous donne le feu vert pour qu'on leur donne notre argent.»

Réaction plus musclée encore du sénateur Bruno Sido (UMP), Haute-Marne. «Si j'ai bien compris, France Télécom a obtenu tout ce qu'il voulait.» L'élu pointe tout de même les côtés positifs de la réforme: «l'opérateur ne pourra plus refuser de faire de la montée en débit.» Dans ce département où ce sont les collectivités qui posent à leurs frais la fibre optique (en régie), les élus digéraient mal d'être exposés aux refus de l'opérateur historique de finir le boulot. La Haute-Marne pourra exiger désormais de France Télécom qu'il équipe ses répartiteurs pour délivrer de l'ADSL aux abonnés de la zone. Mais avec un gros bémol: «il faudra leur payer l'armoire [les équipements, ndlr] et aussi les branchements, et en plus toute l'installation sera à eux» .

Son département compte 8% de foyers qui n'ont pas accès du tout à l'ADSL. Et sur les 92% restants, la moitié ont un débit plancher de 512 kbs, le standard en vigueur il y a dix ans, au tout début de l'ADSL. Sido a évalué la facture de la montée en débit pour son territoire à 40 millions d'euros. Lourd pour le budget du département alors que l'étape suivante, le très haut débit pour tous (100 Mbps et au-delà), s'annonce encore plus dispendieux.

France Télecom, sollicitée pour donner son avis sur la recommandation de l'Arcep, n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet: «nous avons une réunion avec les collectivités début juillet. Nous leur réservons la primeur.»

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