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Libération

Le disque creuse son sillon numérique

par Christophe Alix
publié le 23 janvier 2010 à 15h07
(mis à jour le 28 octobre 2010 à 16h37)

Alors que l'économie française vient de connaître sa pire récession depuis l'après-guerre, la petite histoire retiendra-t-elle que c'est, paradoxalement, en 2009 que le marché du disque a commencé à enrayer son long déclin ? Dans les labels indépendants et chez les majors, on se pince pour y croire et trouver des explications au phénomène. Mais la réalité est bien là. Après sept années de baisse consécutive des ventes, «l'industrie du disque», comme on disait au temps de sa splendeur, semble avoir retrouvé un brin de vigueur. Après un premier semestre à nouveau bien plombé (-21%), le marché de la musique «physique» qui représente encore 85% des ventes s'est largement redressé dans la deuxième partie de l'année et a, selon David El Sayegh, le directeur du syndicat national de l'édition phonographique (Snep), «très bien terminé l'année» . Les chiffres définitifs ne seront dévoilés que lundi au Marché international du disque et de l'édition musicale (Midem) de Cannes, mais le patron du leader français ­– et mondial – Universal, Pascal Nègre, promet d'ores et déjà des surprises. «Sur les six derniers mois de l'année, on pourrait être en positif par rapport à l'an dernier , explique-t-il à Libération, et le mois de décembre a été le meilleur de ces cinq dernières années.» Au final, le recul du marché, l'an dernier, pourrait se limiter à 2% contre 15% en 2008. Une performance. Si l'explosion posthume des ventes d'albums de Michael Jackson et, dans une moindre mesure, la sortie de l'intégrale remasterisée des Beatles ont redynamisé le marché, cela n'explique pas tout. Les sorties d'albums sont de plus en plus concentrées sur la période des fêtes, ce qui a pour effet mécanique d'augmenter les ventes au quatrième trimestre. Certains, comme Pascal Nègre, y vont de leur couplet sur «le disque, loisir sympa et pas cher pour porte-monnaie de crise» ou encore s'interrogent sur la coïncidence de la stabilisation du marché avec l'adoption définitive de la loi Hadopi contre le téléchargement illégal. «On constate que la baisse est en partie enrayée , commente le premier des «indés» Stéphane Bourdoiseau, mais affirmer qu'on se l'explique, ce serait très exagéré.»

Agréablement surpris, les professionnels du disque le sont également par les résultats des ventes numériques, bien plus encourageantes qu'il n'y paraît. Avec environ 15% du marché de la musique enregistrée contre 40% aux Etats-Unis, le digital devrait stagner en 2009 en France. Oui, mais cette stagnation s'explique par l'effondrement du marché très juvénile des sonneries et autres «ring back tones» pour mobiles qui dominait le marché ces dernières années. «Le numérique est en pleine restructuration , confirme David El Sayegh du Snep, le téléchargement à l'acte, que ce soit sur mobile ou ordinateur, a connu une croissance de 50% et les formules d'écoute en streaming en abonnement payant commencent à se déve­lopper.» Un «vrai décollage» assure Pascal Nègre et qui fait dire à Stéphane Bourdoiseau qu'il «devient pour la première fois raisonnable de parier sur le développement du numérique» .

C’était justement la mission confiée par le gouvernement au producteur Patrick Zelnik qui a tout récemment remis ses propositions pour améliorer l’offre légale sur Internet. Un rapport qui accorde une très large place au sauvetage de la filière musicale, la plus sévèrement touchée par la mutation numérique mais qui reçoit, dans le milieu, un accueil au mieux mitigé, au pire hostile. Et ce à cause d’une seule proposition, inattendue : l’obligation d’une gestion collective de la musique numérique, déjà adoubée par Nicolas Sarkozy. Ce qui implique de mettre en ligne ses catalogues, à disposition de tous et aux mêmes conditions.

Si les producteurs se félicitent de la création d'une future carte jeune «musique en ligne» subventionnée par l'Etat (en regrettant tout de même qu'elle soit limitée aux 15-24 ans), s'ils applaudissent au triplement de leur crédit d'impôt étendu à leurs frais marketing, ils goûtent en revanche très peu la mise en place «autoritaire» , d'ici un an, au plus tard, de la gestion collective. Une mesure que Patrick Zelnik justifie au nom d'une nécessaire égalité d'accès de tous les acteurs à un nouveau marché, menacé par les pratiques de majors qui abusent de leur position dominante pour imposer leurs conditions aux distributeurs (paiement d'avances, deals exclusifs, etc.). «Si le marché va mal, si l'offre n'est pas séduisante, c'est de la faute de ses acteurs qui n'ont pas su s'organiser» , dit-il. Erreur de «diagnostic» répondent la plupart des producteurs qui jugent la mesure «dangereuse» et «disproportionnée» . «Les différentes plateformes ont aujourd'hui accès à l'ensemble des catalogues des maisons de disques et la mesure me paraît juridiquement difficilement justifiable , plaide le porte-voix des indépendants, Vincent Frèrebeau, du label Tôt ou tard. Non seulement la France serait le seul pays à appliquer une gestion collective des droits qui n'a aucune raison d'être, avec des acteurs ou iTunes ou Fnac.com mais je ne connais personne qui soit pour.» Le débat pour ou contre le «kolkhoze musical» , comme n'hésite pas à l'appeler le distributeur Believe, ne fait que commencer.

Paru dans Libération du 22 janvier 2010

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