Droit à l'oubli numérique : les bonnes intentions de NKM

par Alexandre Hervaud
publié le 14 octobre 2010 à 18h32
(mis à jour le 26 mai 2011 à 11h15)

Imaginez un instant que le Gouvernement, pour une raison X ou Y, décide de faire signer une charte de bonne conduite autour des parcs d'attractions en France. C'est un exemple comme un autre, mais pas si bête : les parcs d'attractions, c'est plutôt sympa, les jeunes adorent, mais parfois il peut y avoir des accidents aussi. Alors voilà, on convie la presse pour faire la promo de cette charte, mais surprise : au rayon abonnés absents, on trouve Eurodisney et le Parc Astérix. Le Luna Park de Royan est bien là, par contre, mais bon, ça n'a quand même pas trop d'allure. Voilà, de manière imagée, l'impression que nous a fait hier matin la signature de «la charte du droit à l'oubli dans les sites collaboratifs et les moteurs de recherche» (à lire ici en pdf ). Ce droit à l'oubli numérique (pré)occupe depuis novembre 2009 le gouvernement, a priori sensible à la protection de la vie privée sur Internet entre deux moutures de la loi Loppsi.

Quelques rappels sur cet oubli (oh, oh) des temps nouveaux : à l’heure où les employeurs googlent chaque nouveau salarié potentiel, où les serveurs de Google enregistrent chaque insanité proférée en commentaire d’un billet de blog, et où les médias en ligne laissent généralement la possibilité de consulter leurs archives, la réputation d’un citoyen lambda passe plus ou moins forcément par le Net. Certains boulets virtuels (tracas judiciaires mentionnés dans la presse, insultes de camarades de classe sur un blog, sextape sur YouPorn, on en passe...) peuvent en effet vite vous pourrir la vie, et l’idée du droit à l’oubli numérique est que tout un chacun doit pouvoir faire supprimer ces données personnelles volontairement (ou pas) disséminées sur la toile.

Cette signature avait lieu dans l'un des salons du Secrétariat à l'Economie Numérique, en présence de Nathalie Kosciusko-Morizet et des entreprises ayant décidé de jouer le jeu. Avant de les citer, un point de vocabulaire sur le terme site collaboratif : pour le Secrétariat, cela regroupe «réseaux sociaux, blogs, forums, plate-formes d'échanges photo et vidéos» . En terme de réseau social et de moteur de recherche, on pouvait donc s'attendre aux poids lourds de ces deux secteurs, à savoir Facebook et Google. Hélas, les géants américains n'ont pas rejoint leurs collègues Trombi.com, Copainsdavant, Pagesjaunes, Skyrock.com, Viadeo, MSN et Bing dans l'aventure.

«Facebook, on va y arriver !» , déclarait hier matin une NKM confiante et d'humeur blagueuse ( «cette signature le jour de la sortie de The Social Network, c'est une pure coïncidence» , nous a-t-elle dit, et on l'a cru sans problème). Les raisons invoquées pour la non signature de cette charte ( «un point de départ, pas une finalité» , cette charte, toujours dixit NKM) vont de la complexité d'assouplissements des CGU des sites («leur système juridique sont archi-centralisés») aux détails sur les questions qui fâchent (comme sur le point concernant les transferts de données hors de l'Union européenne). «Google, c'était quasiment fait la semaine dernière» , arguait encore NKM. C'est quand même pas de bol.

La charte est divisée en 5 objectifs :

1) Favoriser les actions de sensibilisation et d'éducation des internautes (rendre les CGU plus clairs, et de manière générale annoncer la couleur de manière plus visible aux internautes publiant du contenu)

2) Protéger les données personnelles de l'indexation automatique par les moteurs de recherche, renforçant ainsi le contrôle par l'éditeur de contenu dans ce domaine.

3) Faciliter la gestion des données publiées par l'internaute lui-même, permettant ainsi de constater quels contenus sont disponibles en ligne, et si besoin, des méthodes simples pour les supprimer

4) Adopter des mesures spécifiques d'information pour les mineurs, sorte de renforcement des mesures citées plus tôt pour les plus jeunes, avec vérification renforcée de l'âge des internautes.

5) Mettre en place un outil de signalement ou un bureau des réclamations (avec cet exemple : les sites collaboratifs s'engagent à mettre en place une notification interne au réseau lors de l'identification des personnes sur les photos publiées, et offrent la possibilité de restreindre à des personnes autorisées à voir ce contenu en cochant certains groupes de personne).

6) Maintenir le niveau de protection de données en cas de transfert vers un prestataire tiers (bien que non nommé, on pense à Facebook en voyant mentionner «quiz et jeux» en exemples d'applications extérieures)

A l'aide d'un PowerPoint du plus bel effet (le boss de Microsoft France était dans la salle), NKM a expliqué qu'il n'y a «pas besoin de nouvelle loi, car si l'on devait sortir une loi très précise, il faudrait la changer tous les trois ans» . Pour la ministre, l'important est d'avoir «une loi de principe» , et ça tombe bien car c'est à ses yeux le cas depuis 1978 avec la Loi Informatique et Libertés . Les différents signataires (pas seulement entreprise, des structures comme les Associations Familiales Catholiques ou Action Innocence était de la partie) ont défilé au micro pour des courtes présentations avec exemples à l'appui (le Skyblog de chaudassedu66 par exemple) et autres déclarations de bonnes intentions.

La suite, pour cette fameuse charte, est de rassembler de nouveaux signataires. Et, bien entendu, d'être un minimum suivie par les signataires actuels. Pour s'en assurer, NKM souhaite la création «avant Noël» d'un Conseil National du Numérique qui serait notamment chargé de vérifier la bonne applications des engagements des chartes. Ah, oui car il y a plusieurs chartes au fait ! Le 30 septembre dernier, une charte sur la publicité ciblée était ainsi signée par les professionnels du marketing. Après vérification, il s'avère qu'on avait omis de vous en parler. C'est un oubli. Mais c'est notre droit.

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