Le journal d'un joueur #2 : Le grand départ

par Olivier Seguret
publié le 5 mars 2008 à 17h21
(mis à jour le 5 mars 2008 à 17h53)

Voilà déjà quelques heures que j'ai mis les voiles pour cet Odyssey au long cours et les questions me bombardent aussi sûrement que les projectiles ennemis

L’ouverture du jeu présente une facture extrêmement curieuse. Le héros, Kaim Argonar, est livré à la manipulation du joueur sans crier gare, au beau milieu d’un champ de bataille qui ressemble à un champ de houille ou de lave refroidie. Tout est très noir, métallique et fracassant. A commencer par ce premier groupe d’assaillants, des soldats entièrement dissimulés sous une armure d’acier qui mélange les styles du samouraï et du chevalier.

A peine éliminés, ils laissent place à une sorte de mini-boss qui (je le comprends au moment où j'écris ces lignes et à la lumière des combats engagés depuis) fonctionne en fait comme une déclaration programmatique, une note d'intention: les boss de ce jeu seront éminemment tactiques. Pour vaincre celui-là, il suffit d'observer et de déduire : à cette condition, il est très facile à abattre. La scène donne également une autre clef conceptuelle cruciale: il est à la fois possible et impossible de mourir. Possible, car si on ne fait pas usage des quelques potions présentes dans l'inventaire de base, Kaim a toutes les chances de tomber K.-O. Impossible, car dans l'hypothèse de ce K.-O., Kaim se relèvera quand même au tour suivant, offrant ainsi au joueur son premier contact avec l'un des ingrédients scénaristiques majeurs de Lost Odyssey : certains de ses personnages, à commencer par le premier d'entre eux, sont immortels...

Avouons-le: au début, cette immortalité dont Lost Odyssey a fait l'un de ses arguments et qui était d'ailleurs vantée par les buzz précédant la sortie du jeu comme un élément de son audace, m'a plutôt fait sourire. Un personnage de jeu vidéo qui serait immortel? La belle affaire, croyais-je malin de penser, puisqu'ils le sont tous à leur façon et pour ainsi dire par définition. Que la mort d'un personnage soit plus ou moins sévèrement sanctionnée par un jeu, certes, mais il ne dépend en principe que du joueur de le faire revivre aussitôt et autant de fois qu'il le voudra.

Néanmoins, toute l'astuce de Lost Odyssey réside précisément dans cet écart, cette petite différence qui fait que la question de l'immortalité, ici, ne dépend plus du joueur mais du jeu, de son scénario et de ses objectifs. Comment la suite de l'histoire va-t-elle gérer ce don à double tranchant de l'immortalité? Voilà une première question qu'il faudra régulièrement considérer.

Précisons quand même que l’incarnation d’un personnage immortel ne signifie pas pour le joueur qu’il va évoluer dans un univers tapissé d’airbags où rien ne viendrait jamais sérieusement le menacer. Kaim est très vite épaulé par une épéiste féline et un jeune mage louche. La première est immortelle elle aussi et le second ne l’est pas. Mais si tout le monde tombe K.-O. dans le même tour, la «fin de partie» est garantie, un game over parfaitement classique, égal absolu de tous les autres: retour à la case départ (ou plus exactement à la dernière sauvegarde). Marrant comme cette vieille humiliation vaporise ici quelque chose de rassurant...

L'autre grande caractéristique de Lost Odyssey tel qu'il apparaît dans ce premier contact, c'est bien sûr la relation parfaitement maladive, passionnelle, mélancolique et émouvante qu'il entretient avec Final Fantasy . A de très nombreux égards, c'est un FF numéro ixe: un volet fantôme de la saga, un spin-off exilé. Il y a quelque chose de très stupéfiant dans cette façon affichée par Sakaguchi, (ingénieur en chef de Lost Odyssey , rappelons-le) de ne pas se contenter de citer quantité de références à FF mais de s'en approprier carrément la formule qui, après tout, était originellement la sienne. Il ne faudrait pas pousser très loin le bouchon du paradoxe pour démontrer que Lost Odyssey est à la fois le plus fidèle et réussi des FF-like et un authentique FF en soi, travesti sous un nom d'emprunt. En d'autres termes, Lost Odyssey nous acclimate à cet étrange sentiment d'avoir affaire en même temps à une copie et à l'original...

J'avoue ne pas connaître grand chose des principes exacts qui régissent droit d'auteur et «propriété intellectuelle» dans le monde du jeu vidéo et je ne sais pas davantage en quels termes Sakaguchi a négocié son deal de départ le jour où il a quitté Square. Auteur reconnu de ses idées, est-il libre d'en disposer? A-t-il le droit de faire du FF ailleurs que dans le berceau familial? En tout cas, il l'a pris et il a eu raison: son coup d'état est déjà riche de promesses pour la suite de l'aventure, son jeu avec le feu. Comment cette ligne FF va-t-elle prospérer à l'intérieur de Lost Odyssey ? Voilà la seconde question qu'il faudra jusqu'au bout régulièrement éprouver.

Néanmoins, les amarres sont larguées et il serait dommage de laisser trop longtemps la Calypso dériver. Au boulot donc, et vite fait!

(A suivre)

A lire aussi :

_ - Le journal d'un joueur #1 : Avant l'odyssée

Le premier chapitre est disponible ici .

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